Histoire et Idées | La Grande Afrique https://lagrandeafrique.com Thu, 14 Mar 2019 00:26:06 +0000 fr-FR hourly 1 https://lagrandeafrique.com/wp-content/uploads/2017/11/cropped-logo-2-32x32.png Histoire et Idées | La Grande Afrique https://lagrandeafrique.com 32 32 Faut-il abandonner le développement ? https://lagrandeafrique.com/faut-il-abandonner-le-developpement/ Thu, 21 Feb 2019 19:30:30 +0000 https://lagrandeafrique.com/?p=1516 Par Ysé Auque-Pallez.

Au sortir des indépendances, le développement apparaissait comme une évidence (en tout cas pour la majorité des décideurs), conçu comme un moyen pour les pays dits “en voie de développement” ou du “Tiers-monde” de “rattraper” les pays dits “développés”. Il aurait suffit pour les pays du Sud d’ouvrir les marchés, de privatiser les entreprises, de contrôler l’inflation, de déréglementer et d’avoir une “discipline” budgétaire : c’est ce qu’on appelle le “consensus de Washington” qui est prôné par les théories de la modernisation et qui servit de base théorique libérale aux institutions de Bretton Woods (Banque mondiale et Fonds monétaire internationale).

50 ans plus tard, force est de constater : les pays du Sud sont toujours plus pauvres que les pays du Nord et les inégalités se sont même creusées (à différents rythmes, cependant). En particulier, selon l’OCDE, le continent africain a connu une croissance quasi absente depuis les années 1960 jusqu’aujourd’hui. Faut-il en conclure que la notion même de développement est à abandonner? Faut-il ainsi considérer que toute politique de développement est vouée à l’échec ?

C’est en tout cas ce que pensent les théoriciens de “l’après-développement” dans les années 1970 et 1980 et avant eux, les “dépendantistes” de mouvance marxiste dans les années 1960 dont ils s’inspirent en grande partie (notamment sur la conceptualisation des rapports de pouvoir et de domination au sein du domaine du développement). L’après-développement refuse de manière radicale la notion même de développement : il propose, non pas des manières alternatives d’atteindre le développement dans le “Tiers-monde” mais des alternatives au développement (Escobar 1995).

En 1992, un groupe de 17 auteurs, inspirés des travaux de Ivan Illich, Foucault, Gandhi, Polanyi parmi d’autres, se réunit pour écrire The Development Dictionary. Ils développent deux arguments principaux pour justifier “la fin du développement” (1). Premièrement, selon eux la perspective évolutionniste du développement est dépassée car le modèle industriel y est considéré comme supérieur alors qu’il provoque des désastres écologiques et accroît les inégalités. Deuxièmement, ils dénoncent le développement comme arme stratégique et politique des pays occidentaux pendant de la guerre froide et prédisent qu’il disparaîtra après 1989. Ainsi, ils en concluent que le développement est une “croyance occidentale” (Rist 1996) qui repose sur le culte du progrès et de la modernité, celui-ci s’accompagnant nécessairement de l’accroissement général des inégalités, la crise écologique et l’uniformisation culturelle par l’occidentalisation du monde.

Ainsi, pour les tenants de ce courant, “le développement, sur les plans à la fois théorique (paradigme, objectif) et pratique (stratégies mises en application), n’a constitué pour les sociétés d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine, depuis leur indépendance, qu’un nouvel avatar de la domination des pays industrialisés et de l’occidentalisation du monde, sur tous les plans (économique, social, culturel…)” (2).

Le développement provoquant une désocialisation, une omnimarchandisation et une destruction de la diversité culturelle, les après-développementistes appellent à revenir aux cultures et savoirs locaux, à adopter une démarche critique vis-à-vis des discours scientifiques établis et à promouvoir les mouvements locaux et populaires. Certains, comme Serge Latouche, François Partant, Gilbert Rist, Nicholas Georgescu-Roegen, prônent la décroissance, “un slogan pour casser la langue de bois dominante de l’idéologie de la croissance, véritable religion qui donne lieu à un culte avec ses rituels consuméristes” (3).

Néanmoins, si la pauvreté extrême (vivre sous le seuil de 1,90 dollars par jour et par personne) a diminuée entre 1981 de 1,9 milliard à 800 millions de personnes en 2013, ce chiffre reste tout de même alarmant. Une des critiques les plus saillantes de l’après-développement est résumée par Christian Comeliau. Celui-ci propose non pas de sortir du développement mais de le réformer car il ne croit pas qu’il soit en pratique possible d’exiger une décroissance globale au vu du niveau de vie actuel chez une majorité de la population de la planète et cette population allant à l’accroissement, plus particulièrement sur le continent africain. Il veut refonder le modèle du développement en modifiant son objectif central qui ne serait plus uniquement la croissance mais le bien-être de la population. Il refuse également d’abandonner le paradigme de l’économie en ce qu’il n’est pas intrinsèquement mauvais de produire de la richesse mais celle-ci doit profiter à tou.te.s. Avant de trouver mieux à la fois comme terme, notion et pratique, et puisque les après-développementistes nous laissent dans une sorte d’impasse pratique en refusant fondamentalement le développement, il faut répondre aux défis urgents de pauvreté et de faim dans le monde, nous dit Comeliau.

Les théoriciens de l’après-développement ont tout de même innové les théories du développement et des relations internationales en déconstruisant les mythes de la croissance que Lucas Chancel, chercheur à Sciences Po Paris et auteur du “World Inequality Report 2018”, s’attache aussi à démonter. Il critique la théorie du ruissellement ou “trickle down effect” qui considère que la croissance des pays les plus riches aurait pour automatique conséquence la croissance des pays les plus pauvres. “The global elephant curve of inequalities” montre l’enrichissement des plus fortunés et la stagnation des classes moyennes inférieures des pays industrialisés et donc l’augmentation des écarts de développement et de revenu par habitant entre les plus riches et les plus pauvres.

Après la critique qui considère les conclusions de l’après-développement comme binaires et simplistes, l’après-développement étant accusé d’expliquer la pauvreté uniquement par le développement, la modernité et le capitalisme, la deuxième critique concerne le relativisme culturel. Un certain nombre d’auteurs, comme Kiely, accusent l’après-développement d’accepter la pauvreté au nom de la diversité culturelle et ils rejettent ainsi l’idée que la pauvreté serait une croyance occidentale. Pour eux, ce relativisme culturel s’accompagne également d’un anti-essentialisme contradictoire puisqu’ils insistent sur l’hétérogénéité des cultures mais pas celle des projets de développement, tous condamnés à l’échec selon les après-développementalistes.

Les après-développementalistes ont également tendance à fétichiser les populations non occidentales. Ils omettent de prendre en compte les formes d’oppressions qui ont existé et continuent d’exister (au sein des sociétés occidentales comme non-occidentales). C’est notamment l’exclusion des femmes hors des sphères de pouvoir et leur soumission à des normes sociales et culturelles les assignant à une place de citoyenne de seconde zone dans la majeure partie des sociétés humaines.

Le rejet en bloc de la notion de progrès qu’ils considèrent comme le fondement de la croyance occidentale est problématique. Tout d’abord, il revient à le dénier complètement aux sociétés non occidentales qui seraient caractérisées par une histoire cyclique, ce qui est aujourd’hui remis en cause par de nombreux anthropologues (notamment au sein des études post-coloniales). Ainsi, ils rejettent les bénéfices qui ressortent du progrès social, scientifique et technologique (comme l’augmentation de l’espérance de vie ou l’amélioration des droits individuels). Parallèlement, ils adoptent souvent une vision caricaturale et essentialiste de la culture occidentale comme des cultures non occidentales comme si les deux, de leur côté, formaient un tout monolithique et seraient complètement antithétiques.

La troisième critique importante souvent faite aux tenants de l’après-développement est l’absence de propositions constructives. Quelles sont les alternatives au développement? A quoi ressemble en pratique l’après-développement? Doit-on toujours penser à résoudre les problèmes de la pauvreté, de l’inégalité et de l’injustice? Et si oui, comment?

L’après-développement pose notamment la question de la place de ceux qui veulent s’engager contre la pauvreté et l’oppression mais qui ne sont ni pauvres, ni opprimés eux-mêmes, encore moins appartenant aux sociétés concernées. En effet, les théoriciens de l’après-développement considèrent le rôle de l’expert en développement comme paternaliste et inefficace (Aram Ziai 2007). Mais d’autres pensent qu’il est nécessaire pour les plus privilégiés de s’impliquer et ce, en soutenant des initiatives locales émanant de la communauté elle-même.

Selon ces derniers, les plus privilégiés, avant de s’impliquer dans la lutte contre la pauvreté et les injustices, doivent reconnaître les manières dont les pauvres et les opprimés s’organisent déjà pour s’amener eux-mêmes vers l’émancipation. Les plus privilégiés doivent se préparer à ce que leurs compétences ne soient ni utiles, ni voulues et doivent toujours se réadapter en fonction des besoins de la population. Ils doivent aussi reconnaître que l’idée de recevoir quelque chose en retour de leur engagement est en jeu, même s’il s’agit d’un gain intangible comme le prestige ou le sentiment de satisfaction. Selon certains auteurs, comme S. Matthews, les plus privilégiés auraient même un devoir moral à s’engager en raison de l’interdépendance économique et écologique issue du marché international qui fait que nous vivons dans un “monde partagé”.
Mais qu’est-ce que cela veut dire, concrètement, soutenir les actions populaires? Que peuvent apporter les “experts du développement” aux populations concernées? Ils peuvent leur faire bénéficier d’un certain nombre de compétences techniques comme les outils pour se constituer en réseau ou pour accéder aux financements. Ils peuvent aussi travailler à faire voir à la population les choses d’une autre façon en exposant des idées et informations dont ils ne seraient pas au courant autrement, tout en gardant l’objectif de faire avancer leur lutte. Enfin, ils peuvent revaloriser les systèmes de valeurs et modes de vie de ces populations, parfois fortement érodés en raison de multiples périodes de domination culturelle et notamment de la colonisation.

Cela ne règle cependant pas un des problèmes de l’après-développement. Celui-ci considère en effet trop souvent que toutes les initiatives locales sont bonnes seulement parce qu’elles sont locales alors qu’elles sont souvent marquées par une très grande hétérogénéité et des luttes de pouvoir. De même, il apparaît compliqué pour ces experts d’éviter le paternalisme lorsqu’ils questionnent certaines conduites mal informées ou oppressives des communautés elles-mêmes.

Ainsi, si l’après-développement conserve toujours des problèmes intrinsèques à sa théorie, il a permis de faire émerger deux idées essentielles pour les chercheurs et les décideurs du développement. D’une part, le concept traditionnel de développement est eurocentrique dans la mesure où la société européenne est perçue comme étant un idéal que les autres sociétés doivent atteindre. D’autre part, le concept traditionnel de développement a des implications autoritaires et technocratiques où l’expert est mis dans une position de pouvoir et où il est censé savoir mieux que les populations elles-mêmes. En définitive, l’après-développement nous invite à regarder les approches locales du développement davantage focalisées sur le bien-être des populations et les savoirs qui en ressortent et à adopter une perspective politique de lutte contre les rapports de domination.


(1) Sachs W. (éditeur), The Development dictionary: a guide to knowledge as power. London & New York, Zed Books, 2007.

(2) Treillet S., “Misère de l’Anti-développement”, Recherches internationales, n° 72, 2 – 2004, pp. 111-135.

(3) Latouche S., Conférence : “La décroissance, un projet pour en finir avec l’économie ?”

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“L’éternel féminin” et “l’âme noire” : quand représentations riment avec discriminations https://lagrandeafrique.com/leternel-feminin-et-lame-noire-quand-representations-riment-avec-discriminations/ https://lagrandeafrique.com/leternel-feminin-et-lame-noire-quand-representations-riment-avec-discriminations/#respond Tue, 20 Nov 2018 20:26:25 +0000 https://lagrandeafrique.com/?p=1433 Par Ysé Auque-Pallez

L’école : espace privilégié des représentations et source d’inégalités

L’intersectionnalité est un concept qui permet de comprendre la pluralité des discriminations (de genre, classe, race, orientation sexuelle, handicap, religion, etc). Dans cet article, on se concentrera sur le cas de l’école comme fondatrice des premiers processus de formation identitaire mais aussi créatrice de discriminations envers les femmes et les Noirs. Les inégalités scolaires sont cruciales car elles sont la source d’un certain nombre d’autres inégalités cumulatives et auto-entretenues, notamment les inégalités professionnelles. L’école produit une citoyenneté différenciée de « non frères » pour reprendre la terminologie de Réjane Sénac car les Noirs et les femmes renvoient tous les deux à une incapacité intellectuelle.

Les femmes sont de plus en plus nombreuses à intégrer les études supérieures et notamment les filières scientifiques. Elles sont aussi de plus en plus nombreuses à travailler et à occuper un métier de cadre. Néanmoins, elles se dirigent vers des filières moins porteuses d’emploi, elles occupent moins souvent le statut de cadre et sont beaucoup plus nombreuses à être en sous emploi, à être demandeurs d’emploi. Ces inégalités auraient pour source principale les stéréotypes de genre.

De même, selon Pap Ndiaye dans La condition noire (2008), les Noirs en France représentant entre 4 et 5% de la population française, sont extrêmement présents dans les professions ouvrières et d’employés et personnels de service (45% et 22% contre 34% et 16% pour la population totale) et davantage au chômage (12% de la population noire contre 8%).

Commençons par une définition simple des stéréotypes. Un stéréotype, c’est une « image dans la tête » ou une reproductions mentale de la réalité qui mène à des généralisations concernant les membres du groupe, sur leurs traits de personnalité ou leurs comportements. Selon Erving Goffman, la stigmatisation produit ainsi une situation de conflictualité si importante pour l’individu du groupe concerné qu’il peut en venir à intérioriser ces stéréotypes, c’est-à-dire que les individus vont jouer le rôle attribué par la stigmatisation.

Ainsi, les femmes et les Noirs, en raison des stéréotypes lourds qui pèsent sur leur groupe social, pourraient en venir à confirmer le rôle attendu. La catégorisation immédiate pousse à la confusion et l’amalgame des paroles et des pensées des individus du groupe ; elle mène aussi à la formation des préjugés consistant principalement à penser que « nous sommes bons, ils sont donc mauvais ».

Les stéréotypes de genre et les discriminations scolaires

Si la mixité dans les établissements scolaires est rendue obligatoire par la réforme de Haby de 1976, et si régulièrement depuis 1983, des notes de service du ministère de l’éducation nationale incitent à la vigilance face aux stéréotypes sexistes dans les manuels scolaires, le système éducatif reste néanmoins un lieu privilégié de la formation et de pratiques des stéréotypes.

La socialisation est ainsi différentielle à l’école selon que l’on est garçon ou fille. Par exemple, les professeur.e.s ont tendance à accepter davantage l’indiscipline des garçons et  la rejeter chez les filles; à interroger les filles quand cela concerne une restitution de savoirs et les garçons quand il s’agit de construire des savoirs nouveaux. De même, les manuels scolaires dans lesquels on constate une sous-représentation des femmes ainsi que leur assignation à des rôles traditionnels ont un impact sur la formation des stéréotypes. Selon Michèle Le Doeuff, l’école, non seulement ne considère l’histoire ou la vie sociale que selon le point de vue masculin, mais aussi vise à persuader les filles qu’elles n’ont pas de rôle à jouer dans l’histoire, la vie sociale et la culture.

Les effets des représentations et des stéréotypes sur les inégalités ont-ils déjà été mesurés ?

La thèse de doctorat de psychologie sociale de Racky Sa, en effet, qui porte sur la menace du stéréotype a été réalisée en 2013. C’est la première en France à montrer que la performance scolaire peut être réduite lorsque les stéréotypes raciaux et sexuels sont activés. Selon ses résultats, un individu appartenant à un groupe négativement stéréotypé peut ressentir une crainte qui peut le mener à confirmer, par sa performance ou son comportement, le stéréotype négatif attribué à son groupe (comme le pensait la théorie de l’étiquetage ou de la stigmatisation de Goffman).

Racky Ka part des études en psychologie sociale réalisés aux Etats-Unis pour étudier les différences observées entre groupes minoritaires (Afro-Américains) et majoritaires (Blancs) qui montraient que les premiers obtenaient des scores plus faibles que les seconds, d’autant plus qu’ils étaient moins souvent diplômés ou diplômés avec des notes plus faibles.

De même, les rapports PISA (Programme for International Student Assessment, OCDE) montrent que dans les pays industrialisés, en majorité, la différence de performance en mathématiques entre les garçons et les filles existe toujours. Les facteurs comme le statut socio-économique, le manque de préparation académique ou le manque d’opportunités en matière d’educations n’ont pas été suffisants pour expliquer ces différences, d’où la nécessité de ces études s’appuyer sur une autre approche, à partir des stéréotypes.

L’activation du stéréotype chez les femmes et chez les Noirs : une baisse en termes de performance

Racky Ra montre que l’activation du stéréotype provoque un effet de menace du stéréotype chez les femmes. Elle engendre une baisse des performances, augmente le niveau d’anxiété et le ressenti des émotions auto-consciente négatives dirigées vers soi (embarras, honte et culpabilité). Puisque les femmes ont conscience qu’elles sont associées à une incapacité intellectuelle concernant les mathématiques, le test de mathématique provoque une crainte de confirmer les stéréotypes négatifs associés à leur groupe d’appartenance tandis que chez les hommes, l’activation du soi interdépendant n’a aucun effet délétère sur leurs performances.

La première étude réalisée sur 211 étudiants de psychologie de l’Université Paris Descartes de niveau Licence 1 et Licence 2, concernant les stéréotypes sur les Noirs demander aux participant.e.s de répondre à la question « veuillez indiquer quelles sont les caractéristiques que les gens associent ax Noirs en France ? » en 10 lignes maximum. Parmi la liste des items cités au moins 10 fois par les participants, on retrouve notamment « délinquants » en 4ème place, « paresseux » en 8ème place, « violents » en 10ème place, « voleurs » en 12ème place et « pas intelligents » en 15ème place.

La deuxième étude réalisée à partir de 9 entretiens semi-directifs sur 5 hommes et 4 femmes âgés de 24 à 34 ans, consiste à étudier les effets de la menace de ces stéréotypes sur les individus. Elle montre que la peur de confirmer les stéréotypes négatifs associés à leur groupe d’appartenance est permanente.

Une différence avec les femmes est que la perception de soi est dirigée vers eux-mêmes plutôt que leur groupe : ils veulent prouver aux yeux des autres que les stéréotypes associés aux Noirs de France ne peuvent pas s’appliquer à leur situation personnelle. Cela peut s’expliquer par la lutte contre le sexisme et contre les inégalités, qui mobilise un large nombre de personnes tandis que la lutte contre le poids des préjugés sur les Noirs serait moins fédératrice en France (luttes anti-racistes bien plus populaires dans les années 1980/90, disparition de la HALDE en 2011). Comment d’ailleurs lutter contre le racisme quand on n’a pas le droit d’obtenir des statistiques ethniques en France?

Réfléchir à une école décoloniale et féministe

Selon Steele, pour réduire les stéréotypes, des travaux suggestent qu’il faudrait réduire les pratiques de recrutement qui donnent une importance à la subjectivité et donc à l’utilisation des stéréotypes. Selon Dweck & Molden et Wood & Bandura, une autre piste réside dans le développement des ressources personnelles pour amener les individus à concevoir leurs capacités intellectuelles comme malléables.

A l’école, une première piste serait de mieux représenter les Noirs et les femmes dans les manuels scolaires, valoriser l’histoire de l’Afrique (et de sa diaspora) et l’histoire des femmes, comme acteurs et actrices de l’histoire, de l’art, la littérature, la politique, etc et non objets passifs d’une histoire masculine.

Même si la tâche de détruire ces stéréotypes qui ont plusieurs siècles d’existence paraît impossible, il est nécessaire de ne pas l’abandonner à ce motif. Car si ces stéréotypes peuvent apparaître comme des idées sans lien avec la réalité que l’on trouve dans la culture populaire, ils ont de véritables effets délétères dans la vie au quotidien de milliards de personnes.

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“L’éternel féminin” et “l’âme noire” : construction historique et politique des représentations https://lagrandeafrique.com/leternel-feminin-et-lame-noire-construction-historique-et-politique-des-representations/ https://lagrandeafrique.com/leternel-feminin-et-lame-noire-construction-historique-et-politique-des-representations/#respond Thu, 15 Nov 2018 15:18:22 +0000 https://lagrandeafrique.com/?p=1404 Par Ysé Auque-Pallez

A priori ces deux images n’ont rien à voir : d’un côté, la couverture d’Argosy, généralement considéré comme le premier pulp magazine (ou journal d’information populaire) aux Etats-Unis nous montre une figure à moitié homme et singe se battant contre un homme blanc ; de l’autre, Admiral choisit de représenter une femme dite « fatale » pour faire vendre son poste de télévision. Néanmoins, ces deux catégories, les Noirs et les femmes, ont en fait beaucoup en commun : ils sont l’objet, de désir comme de répulsion, des imaginaires construits par l’homme blanc.

En 1863, Carl Vogt, naturaliste et médecin suisse d’origine allemande, écrit que « l’enfant, la femme et les blancs séniles » ont l’intellect et la nature du « nègre adulte ». En effet, un certain nombre de travaux ont montré que le stéréotype de l’infériorité intellectuelle est partagé par les Noirs et les femmes, considérés comme les “autres” par opposition aux hommes blancs qui seraient en haut de l’échelle. Comment ces stéréotypes ont-ils été construits?

Sexe et race : des catégories sociales au coeur des rapports de pouvoir

Selon Elsa Dorlin, sexe et race sont des catégories conceptuellement similaires dans la mesure où elles combinent trois définitions interdépendantes et liées dans leur essence. Elles sont à la fois des « vieilles » catégories idéologiques (qui relèveraient d’une présupposée « nature »), de « nouvelles » catégories d’analyse critique (en tant que notion pour rendre compte d’expériences sociales, c’est-à-dire du racisme et du sexisme) et des catégories politiques (catégories d’identification de soi et de l’autre).

Dès lors, le sexe et la race sont des catégories socialement construites qui relèvent des rapports de pouvoir entre dominants et dominés. Selon Réjane Sénac, ce sont des processus de justifications de « l’éternel féminin » jusqu’à « l’âme noire » ayant pour conséquence la conceptualisation d’une égalité justifiée par une utilité sociale et économique : les femmes et les racisé.e.s en général, les Noirs en particulier, sont placés dans une situation bancale où ils doivent performer leurs différences, c’est-à-dire prouver leur rentabilité pour la société française.

S’il n’existe ni de « nature noire », ni de « nature féminine », on peut parler de « condition noire » et de « condition féminine » dans la mesure où, en raison de leur apparence comme Noir ou comme femme (et non pas à cause de caractéristiques essentielles), les individus d’un même groupe partagent des inégalités, des expériences de stigmatisation et de discriminations communes.

L’infériorité intellectuelle des femmes : l’autre au coeur du contrat social français

Selon Costes, Houadec & Lizan, les stéréotypes de genre sont des « signaux qui associent des traits de caractère, des compétences, des attitudes à un sexe plutôt qu’à un autre et qui forgent notre vision de la place et du rôle des hommes et des femmes dans cette société ». Ces stéréotypes décrivent les fonctions masculines comme relevant de l’autorité et du pouvoir (du monde de la culture et de la politique) tandis que les filles sont attribuées des fonctions de care, les inclinant à s’occuper des enfants et de leur foyer (du monde de la nature et du privé).

Dès lors, à travers ces stéréotypes, on transmettrait l’idée selon laquelle les filles sont douées pour la compréhension des autres mais pas pour la compréhension du monde, contrairement aux garçons. La domination masculine et la hiérarchie hommes/femmes étant universelles, toute société humaine a pour trait organisateur principal la hiérarchie des sexes en leur attribuant des caractères et fonctions différentes naturelles et donc irrémédiables, séparant les sexes en un « sexe fort » et un « sexe faible » .

Le stéréotype de l’infériorité intellectuelle des femmes était un fait tenu pour acquis pour la plupart des scientifiques du XIXème siècle. Le cerveau des femmes serait « analogue à celui des animaux » pour les anthropologues de l’époque de Darwin, plus proche des émotions, du sensible et dénuées de rationalité. Cela serait dû, selon Darwin, à la sélection sexuelle, qui aurait fait que les hommes auraient dû prouver leur supériorité physique et intellectuelle dans l’attraction sexuelle.

L’infériorité intellectuelle des Noirs : une construction coloniale

Ce qui est très marquant dans l’histoire des stéréotypes sur les Noirs, c’est leur prégnance à travers les siècles, même si les formes qu’ils prennent sont diverses, s’appuyant sur des images modèles tels que le tirailleur et le sauvageon et/ou sur des répertoires racistes différents (racisme biologique, racisme culturel).

Pendant la période de l’esclavage (XVIème-XIXème siècle), si le contact des Européens avec les Noirs originaires d’Afrique est très limité, le regard occidental était néanmoins teinté de préjugés et de stéréotypes qui trouvent leur source dans les discours religieux, scientifique et intellectuel de l’époque. Selon Delacampagne et Sala-Molins, même si, dans le texte religieux, rien n’indique la couleur de Cham, la tradition catholique considère la « race » noire comme descendante de Cham, maudit et condamné par Noé à devenir esclave. Le noir, pour les Européens, est le symbole du mal, de la dépravation humaine et de l’ignorance (considéré comme un mécréant areligieux).

Ces associations semblent demeurer encore aujourd’hui dans les imaginaires comme le montre William B. Cohen (1980) qui interroge les Français sur leur regard sur les Africains : « Un Africain évoque quelque chose de très sombre qui ne m’attire pas du tout… (…) Beaucoup trop primitif pour que ça m’attire. Scènes de cannibalisme. Je pense que tout ça vient d’une éducation enfantine : les images que j’ai dû voir sur les premiers livres de géographie… (…) Un Noir me fait peur, c’est physique ».

Puis, au XIXème siècle, le racisme biologique conquit les esprits (y compris celui de Chateaubriand)  et réutilise les stéréotypes concernant les Noirs, comparant l’Afrique à l’Europe du Moyen-âge ou assimilant les Africains à des enfants, voire des animaux. Le développement de la phrénologie « prouve » l’infériorité intellectuelle des Noirs de par la nature de leur caractères biologiques (Saint-Simon, 1807), les Noirs ayant supposément une taille de la tête et un volume de cerveau plus petits que les Européens (Gall & Spurzheim, 1810; Edwards, 1829; Taine, 1904).

L’image du Noir comme sauvage se répand au travers l’organisation d’expositions coloniales de 1877 jusque dans les années 1930 alors que la France est considérée comme un pays nécrophile, permettant une certaine ascension sociale (voir le cas de Joséphine Baker par exemple). De l’indigène, le Noir représente désormais l’immigré pauvre ou réfugié, renforcée par les manuels scolaires qui consacrent une sous-représentation des Noirs ou assignés passivement à la pauvreté, la maladie, l’esclavage, la ségrégation raciale alors qu’ils pourraient être représentés en tant qu’acteurs de l’histoire ou du développement, inscris dans la modernité. Pour reprendre les mots de Granvaux, « A quand la photo d’un cybercafé en plein milieu d’un quartier populaire à Tunis ou à Bamako ou d’un agriculteur africain consultant les cours des matières premières sur son ordinateur ? »

Ces représentations n’appartiennent pas au passé. Elles ont des effets directs dans la vie quotidienne des femmes et de ceux qu’on appelle « Noirs ». Comment ces représentations ont-elles un impact crucial sur les inégalités à l’école? C’est ce qu’on verra dans un prochain article.

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Lecture : Njinga, Histoire d’une reine guerrière (1582-1663) https://lagrandeafrique.com/lecture-njinga-histoire-dune-reine-guerriere-1582-1663/ https://lagrandeafrique.com/lecture-njinga-histoire-dune-reine-guerriere-1582-1663/#respond Wed, 05 Sep 2018 16:01:02 +0000 https://lagrandeafrique.com/?p=1327

Lecture: Njinga, Histoire d’une reine guerrière (1582-1663)

Par Ayrton Aubry.

Dans le rayon “biographie” des librairies françaises, force est de constater que les personnalités africaines sont aujourd’hui peu représentées. Si l’on trouve quelques figures emblématiques contemporaines comme Nelson Mandela, Wangari Maathai (parfois), et éventuellement Sankara ou Lumumba, le visiteur a plus de choix parmi les conquérants ou explorateurs occidentaux racontant leur “aventure” africaine (les “années africaines” de Churchill, les écrits de Lyautey, etc.)! Au-delà du XXème siècle, les biographies de personnalités africaines sont quasi absentes des rayons des librairies. Dans ce contexte, l’ouvrage de L. M. Heywood, traduit de l’anglais aux éditions La Découverte, apporte une bouffée d’air d’autant plus frais dans cette rentrée littéraire. Professeur d’histoire de l’Afrique et de la diaspora à l’université de Boston, Heywood est spécialiste de l’histoire de l’Angola et de l’Afrique centrale. Njinga, Histoire d’une reine guerrière (1582-1663) raconte la vie de la reine considérée comme la plus puissante de son temps en Afrique par ses contemporains (opposants comme alliés), marquée par la conquête, la fuite, le gouvernement et la foi, dans une période mouvementée de l’histoire de l’Afrique centrale.

Les premiers chapitres de l’ouvrage sont consacrés à des informations denses sur le contexte politique, social et économique qui précède la naissance de Njinga. Les grands traits de l’Angola précolonial sont tirés, et l’origine du royaume Ndongo présentée (car elle aura des conséquences sur la légitimité de Njinga à revendiquer le trône). Ces passages sont marqués par quelques anecdotes (“Angola” vient de “ngola”, qui est le titre des rois du Ndongo, etc.). Pour qui s’intéresse à l’histoire des empires précoloniaux en Afrique, ou à l’histoire mondiale en générale, ces développements sont passionnants.

L’ouvrage de Heywood apporte un éclairage nouveau sur les modalités de la conquête portugaise de l’actuel Angola, et notamment sur le rôle des missionnaires. Les conversions au christianisme, sur lesquelles jouent les militaires portugais (par un système de récompenses) expliquent une partie des changements d’allégeance des princes du Ndongo. Certains passages rappellent tristement l’exemple de Chinua Achebe dans Tout s’effondre. Les colons portugais font également preuve d’une forte autonomie face à la couronne, et décident de continuer la guerre contre Mbande a Ngola, le père de Njinga contre l’avis de la monarchie portugaise, et malgré les initiatives diplomatiques de ce dernier, alors que le roi du Portugal espérait convertir le roi du Ndongo au christianisme.

L’histoire personnelle de Njinga n’apparaît que plus tardivement dans le livre, une fois seulement que toutes les pièces de l’échiquier sont en place. Heywood passe (trop) rapidement sur ses années d’enfance, et sur les événements qui auraient pu l’influencer dans ses prises de décision futures. Le récit de Njinga commence lors de son envoi à Luanda par son frère Ngola Mbande, en 1622, dans une mission diplomatique. A cette occasion, elle refuse l’humiliation symbolique des Portugais en ne se posant pas sur le sol lors de la discussion. A partir de cet épisode, l’histoire de Njinga est immensément riche, car la reine vit dans les premières années de son règne l’exil et la fuite face aux Portugais, puis la reconquête, alternant négociations, mensonges et trahisons, dans un “jeu d’équilibriste”, qui marquera la deuxième partie de sa vie. Le coeur du livre est consacré à cette période, avec l’apaisement des dernières années de Njinga, qui administre son royaume et réfléchit profondément à la spiritualité qu’elle doit adopter.

Le changement de perspective se révèle extrêmement intéressant dans ce qui concerne la manière dont l’Histoire est racontée : des enjeux propres au royaume Ndongo apparaissent, dans lesquels les Portugais ou les Espagnols ne sont que des « outils » exogènes. Cet effet est notamment visible dans les premières années du règne de Njinga, lorsqu’elle doit lutter contre Ngola Hari pour le trône. Les deux prétendants cherchent à tirer successivement bénéfice de la présence des Portugais sur la côte, ils ne sont pas passifs face à l’action des Européens dans la région. Un autre exemple est le traitement des Hollandais par l’auteur. Ces derniers sont présentés comme un acteur supplémentaire du conflit, intégré dans la stratégie globale de Njinga pour sa reconquête du royaume. Contrairement à l’Histoire racontée jusqu’à aujourd’hui, de ce point de vue ce ne sont pas les Portugais qui jouent sur les divisions locales pour prendre le pouvoir, mais bien les partis locaux qui font appel ou non au soutien des Européens dans leurs luttes politiques locales. Bien sûr la réalité se trouve entre les deux extrêmes, mais cet ouvrage rend beaucoup plus concrètes les dynamiques locales à l’heure de la conquête européenne.

Une des faiblesses du livre qui, dans un sens, fait aussi sa force, est le fruit malheureux des conditions de production scientifique sur l’Afrique subsaharienne. Les faibles données connues de l’histoire de l’Afrique subsaharienne, au moins dans le grand public, font que les travaux qui lui sont consacrés s’étendent longuement sur des éléments de contexte. Par rapport à une biographie d’Elisabeth Ière, de Napoléon, ou de Lafayette, l’ouvrage de Linda Heywood consacre de longues pages à l’évolution du contexte politique et des relations entre le Portugal et le royaume du Ndongo. Cela se fait au détriment de détails sur la psychologie de la reine Njinga, ou ses références, ses inspirations, etc. Jusqu’au dernier chapitre, le lecteur a ainsi le sentiment que le destin du Ndongo se confond avec celui de la reine Njinga. Très souvent les considérations politiques ou stratégiques l’emportent sur la description de la personnalité de Njinga, jusqu’à ce que cette dernière impose une paix au Portugal, et se consacre à la gestion de son royaume. C’est d’autant plus malheureux que la reine a su faire face à des défis incroyables, et naviguer entre de multiples croyances (« un exercice d’équilibriste », selon Linda Heywood) tout le long de sa vie.

En arrivant au dernier chapitre, le lecteur reste bouche bée par la vision politique de la reine Njinga à la fin de sa vie. Une fois ses conquêtes terminées, la paix avec les Portugais négociée, et les frontières de son royaume stabilisées, Njinga se consacre en effet avec ardeur à la conversion de l’ensemble de son royaume au christianisme. On comprend alors petit à petit que cette conversion massive vise à assurer la pérennité de son royaume après sa mort, face aux Portugais. En effet, dès les dernières années de sa vie, les Européens attaquent régulièrement les terres voisines du Matamba. Njinga cherche donc à faire reconnaître son royaume par le pape, avec qui elle échange plusieurs lettres, pour pouvoir l’inscrire comme l’égal des puissances européennes. Même si cette stratégie échoue finalement, la capacité avec laquelle Njinga a su comprendre et s’approprier les raisonnements propres à l’Europe de l’époque moderne est à couper le souffle.

Au final, l’ouvrage d’Heywood, en apportant plus de nuance au personnage de Njinga, vient contrebalancer les récits occidentaux tels qu’ils la traitent depuis sa mort. Il s’inscrit dans la continuation du travail de l’UNESCO sur la reconnaissance de l’histoire des femmes du continent. Il faut noter que le travail de l’auteure ne s’arrête pas là, car Heywood continue en ce moment son travail sur Njinga, et notamment les réflexions entamées dans la dernière partie de son ouvrage, sur l’héritage de la reine du Ndongo dans les diasporas africaines, notamment au Brésil.

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La créolité : histoire d’une identité https://lagrandeafrique.com/la-creolite-histoire-dune-identite/ https://lagrandeafrique.com/la-creolite-histoire-dune-identite/#respond Tue, 08 May 2018 19:30:21 +0000 https://lagrandeafrique.com/?p=1289

La créolité, histoire d'une identité

Par Antoine Ellias.

En 1989, trois auteurs caribéens francophones, Jean Bernabé, Raphaël Confiant et Edouard Glissant publient l’« Eloge de la Créolité ». A travers ce texte, les trois épigones et héritiers spirituels d’Aimé Césaire, ajoutent leur pierre à l’édifice de la reconstruction identitaire créole.

Heuristique, le concept de Créolité tel que théorisé invite à une relecture de l’Histoire des Antilles françaises et de la Caraïbe dans son ensemble. Rompant avec la théorie de la Négritude développée durant l’entre-deux-guerres par Aimé Césaire, Léon Gontran-Damas et Léopold Sédar Senghor et celle de l’Antillanité développée par Edouard Glissant à la fin des années 1950, le mouvement de la Créolité affirme l’histoire singulière et distincte du peuplement des Antilles françaises. Se détachant de l’idée d’un retour à une Afrique précoloniale mythique, propre à la Négritude, que certains adeptes de la Créolité finiront par qualifier d’imaginaire voire de mirage ; la Créolité se distingue également de l’Antillanité en ce qu’elle reconnaît la particularité des Antilles francophones (Guadeloupe, Martinique, Haïti) par rapport aux Antilles anglophones et hispanophones (Sainte-Lucie, la Dominique, la République dominicaine, Cuba).

« Ni Européens, ni Africains, ni Asiatiques, nous nous proclamons Créoles».

C’est par cette affirmation que les théoriciens de la Créolité instiguent un mouvement de réflexion identitaire, artistique et littéraire en même temps qu’ils dépeignent les caractéristiques du « créole ». Un individu d’un genre nouveau, aux racines culturelles diverses, qui serait rentré contre son gré dans l’ère moderne avant que la mondialisation n’advienne. De cette manière, les théoriciens de la Créolité font des Antilles françaises un creuset de modernité précurseur, dans lequel dès les débuts de la colonisation et du peuplement franco-britannique des Petites Antilles en 1627 à Saint-Christophe-et-Niévès, des individus triés sur le volet sont sélectionnés, importés et forcés de vivre ensemble dans des sociétés artificielles où la solidarité n’existe pas. L’individu créole correspond alors au Buffalo Soldier tel que décrit par Robert Nesta Marley (a.k.a Bob) dans sa chanson éponyme: « (…) Stolen from Africa, brought to America (…) », il évolue dans un environnement étranger à celui de ses ancêtres, parfois hostile et toujours sous la coercition. La théorie de la Créolité correspond également à une époque de renouveau intellectuel, celle des années 1980, qui débute par la publication de l’essai de René Depestre au titre évocateur « Bonjour et adieu à la négritude ». Les théoriciens de la Créolité ont cela de nouveau qu’ils acceptent de ne pas figer leur identité dans des ailleurs mythiques, ni de chercher refuge dans des sociétés historiquement déterminées et correspondant aux civilisations dites millénaires, consacrées par les livres d’Histoire. Leur œuvre se distingue de celle qui les a nourris dans la mesure où ils assument pour la première fois l’inconfortable magma duquel les sociétés caribéennes francophones sont nées.

Néanmoins, selon Edouard Glissant, la créolité en tant que mouvement historique qui sous-tend l’avènement de l’individu créole est inséparable de l’histoire coloniale française et le concept est alors inséparable de certaines considérations politiques. Issu d’un peuple composé d’identités diverses que le joug de l’Histoire a réuni sur le même sol, sous domination coloniale, sans nation propre, ni identité politique souveraine, le créole est l’ancien sujet de l’esclavage et de la Traite négrière. Selon cette vision de la Créolité, le créole est alors inséparable de la société de Plantation ; faisant de la qualification de créole un attribut qui caractérise les parcours de vie d’individus évoluant également en dehors de l’aire Antilles-Guyane. Considérant que l’apparition de la Créolité est indissociable de la violence historique de laquelle elle résulte, les théoriciens de la créolité dans une démarche presque thérapeutique, escomptent réparer la blessure ontologique liée au mystère identitaire antillais francophones en reconstituant le puzzle ethnique composé de pièces provenant d’Afrique, d’Asie, d’Europe, ainsi que des sociétés précoloniales amérindiennes exposées à l’expansionnisme et au messianisme occidental par Christophe Colomb. Ceci se traduit par l’idée de gouffre, omniprésente dans les travaux d’Edouard Glissant, à comprendre sous le sens d’un gouffre créateur duquel naît l’individu créole.

« L’expérience du gouffre est celle de la traversée transatlantique de la Traite, où la cale du bateau négrier est à la fois un espace de mort et de rupture et le moment d’une naissance, tragique, à un nouveau monde qui sera celui de la culture antillaise ».

Si elle est théorisée en fonction d’une histoire particulière, la Créolité revêt sous la plume d’Edouard Glissant un aspect universel. Né du particularisme historique, le concept de la créolité est indissociable de l’histoire des Hommes, qui migrent, voyagent, font refuge en tout temps et en tout lieu. De la même manière, l’individu créole existe partout où il y a contact entre les cultures. Tout individu aux racines culturelles diverses et à la généalogie chahutée par le mouvement de l’histoire et la mobilité géographique peut être considéré comme créole. Porteur d’une identité composite qui s’assume comme telle, le concept de Créolité correspond à des symboles, à des réalités et à des valeurs plurielles. Ainsi, la conception identitaire que sous-tend la Créolité n’est pas le produit d’une identité-racine-unique, essentialiste, pure et préservée de toute atteinte extérieure. C’est en faisant basculer la créolité des Antilles au Tout-Monde, qu’Edouard Glissant développe le concept d’identité-relation qui s’oppose à l’identité-racine. Alors, la créolité permet à l’individu créole de se projeter vers le monde, au-delà de l’aider à retrouver son estime, son histoire et d’assumer son caractère composite. Le concept permet ainsi de s’approprier son passé et de se doter d’un avenir, qu’il soit africain, asiatique, européen, latino-américain ou pan-caribéen. Les travaux d’Edouard Glissant consacrent également le concept de créolisation qui correspond au processus selon lequel la Créolité en tant qu’état advient et permet l’émergence de la figure du créole.

En tant que concept forgé par des auteurs antillais francophones et correspondant à une identité locale, le concept de Créolité est projeté à l’échelle globale, notamment par Edouard Glissant. En ce qu’il permet de p(a)enser l’identité à l’ère contemporaine, le concept vise également à permettre d’appréhender et de penser la relation à l’autre ; puisqu’il a permis à l’individu créole d’assumer sa propre altérité. Le concept de Créolité ambitionne ainsi de contribuer au bon-vivre ensemble, au mieux-vivre ensemble et sa diffusion, voire son enseignement ne pourrait que participer à apaiser les relations entre les peuples, au début d’un 21e siècle que certains considèrent comme marqué par l’essor fulgurant du phénomène migratoire, le repli sur soi et la crispation identitaire, dont la conséquence se matérialise par la construction de murs de plus en plus nombreux et opaques.

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History teaching in Africa https://lagrandeafrique.com/history-teaching-in-africa/ https://lagrandeafrique.com/history-teaching-in-africa/#respond Fri, 27 Apr 2018 09:36:36 +0000 https://lagrandeafrique.com/?p=1282

History teaching in Africa

Par Bahon Jessica Gbalé.

A well know African adage says: “If you do not know where you come from, you cannot decide where you are going.”

Since the wave of independence of African states in the sixties, the latter have had to take responsibility for the education system and reform all of its levels accordingly to their need. Given that education is a sine qua non condition of development, investing in this sector was, and remains today, essential.

As Amadou Hâmpaté Bâ emphasized: « The oral tradition is at the heart of Africa’s history, of the heritage of all kinds of knowledge, patiently by word of mouth and master to disciple, through the ages« . This statement from the Malian writer and ethnologist is all the more relevant, considering that the history of French West Africa (FWA) has essentially been written down from oral sources transmitted by the natives.
Moreover, the anthropological and ethnological researches that led to the collection of the African oral traditions were initiated by the Western colonial powers in order to strengthen their expansion on the continent. At the time, having a better knowledge of the conquered and to be conquered societies would enable them to better establish the basis of their domination, and satisfy their intellectual curiosity, even scientific.
Thus, in 1935, the Governor General of the French West Africa rose the question of oral archives’ collection. Marguerite Verdat, first archivist of the French West Africa, was then in charge of this operation. The collection of oral sources was based on oral testimonies (old men and griots), life stories of oral history, speeches, conferences, round tables, audiovisual programs, tape recordings, written notation, publication of collections, oral texts, or the exploitation of all these elements in terms of research.

Did you know?
The Fundamental Institute of Black Africa (IFAN) of Cheikh Anta Diop has an « Islamology » department, mainly made up of sound archives and whose collection was made from oral sources with certain families of Senegalese marabouts.

The General History of Africa

In 1964, at the request of the newly independent African states, the UNESCO (cultural organisation of ONU) undertook the tremendous project of piecing together again the General History of Africa (GHA). This project consists of 2 phases:

– The writing and publication of the GHA actually started in 1970. Gathering 39 members for the creation of an international scientific committee, two third of whom were African experts. They were in charge of the developing the intellectual and scientific content of the work.
– Since 2009, the implementation of a plan to make a pedagogical use of the GHA. This project is at the heart of “Priority Africa” and is part of the Second Decade for Education in Africa (2006-2015) which focuses on strengthening the links between education and culture and the quality of educational content.

One of the main objectives of such a project is to rectify the widespread ignorance and misconception of Africa’s history. This situation is in part due to the (very) euro-centric vision of the continent’s past. Truth is, although the colonial period represents a small (but still impacting) fraction of the continent’s history, this period generally shadows down the others. Thus, the aim is to write again Africa’s history, free from prejudices inherited from colonization, and deeply inserts the continent’s destiny in that of humanity by highlighting relations with other continents, and the place of Africans within the dialogue of civilizations.

By the ambition of gathering and compiling the history of the African continent in its entirety, from its prehistory to its contemporary period (1935-1999), the 8 volumes of the General History of Africa establish a pioneer piece of work, which is so far unequalled.
To this day, approximately $ 5,702,000 of cumulative expenditures have been dedicated to the project.
Since 2013, a ninth volume is in preparation, and will deal with the recent history of the continent since decolonization, the end of apartheid, and the place occupied today by the continent in the world.

Report on the current state of history teaching in Africa

In 2010, Professor Zakari DRAMANI-ISSIFOU wrote a report for UNESCO on the current state of history teaching on the African continent, as well as on the pedagogical use of the eight volumes of the General History of Africa.
The questionnaire highlights structural and pedagogical features of history teaching in the studies countries, to help determining the importance given to history as a subject. Out of a total of 53 States, 52 received the questionnaire and 44 States responded, more or less rigorously, namely 84.4%. 8 months, from august 2009 to march 2010, were needed in order to collect responses to the questionnaires.

The study starts by defining the main educational system structure implemented by African countries. Most of them have 4 educational levels (47.4%), 36.84% have 3 levels, 13.15% have 5 of them, and only one country has 2 levels. Among the structures of education levels, primary and secondary come out top, each with 88.6% of choices; the preschool and nursery levels account for 54.5% of choices. These figures show that efforts should be made to extend these in order to give greater opportunities to children. University education comes close to 66%, whereas technical and vocational education only amounts to 11.4% of choices. This substantial gap can be mainly attributed to the more elitist general type of education privileged by former colonial powers.

In 2010, history was taught as a single subject in 16 countries, combined with geography in 34 countries, and taught as a social sciences subject in 11 countries. History is taught as a compulsory subject in most countries. It accounts for 88.6% in primary, 81.8% in lower secondary and 61.3% in higher secondary. Moreover, 41 countries out the the 44 respondents could confirm that the place of history and its related subject was clear and evident.

The study reveals that the concern for national unity and cohesion seems to be one of the main preoccupation of African states. In fact, 41 states out of the 44 recognized taking responsibility for devising the official history teaching curriculum of the country. Moreover, the part undertaken by the government into the curriculum drafting is rather extensive as in 79.5% of cases, the ministry of education is in charge, while in 25% of cases, specialized pedagogical institute are in charge.

The study also shows that most of African states considers some of the main stakes of history teaching to be, firstly, to develop qualities of intelligence, a sense of responsibility and high moral values in relation to others, and secondly, to emphasise patriotic qualities and a sense of African citizenship. However, it is clear that due to the disparities in the duration of classes dedicated to the subject, pupils, whether is primary or secondary education, do not enjoy from the same benefits. Indeed, the study shows that the duration of weekly history lessons varies between 3h and 15h, which creates a substantial gap. Overall, the study points out that on average, weekly hours are of 2h10 for primary; 2h45 for lower secondary and 3h50 for higher secondary.
The scope of focus of history as taught subject depends on the education level. In fact, in primary education, local and national history arouse more interest than sub-regional history or that of the African continent (or others). This tendency seems to be reversed in secondary education, as sub-regional history, that of Africa, and that of other continents, range from to 68% to 84% of the curricula.

With regard to the themes addressed in history classes, they are a plenitude of them, going from prehistory, to major empires, Islam, including socio-economic themes such as democracy and poverty.
Although it arouses some interest at primary level, in general, prehistory is not much approached, and its part within the curriculum declines in lower and higher secondary education. We can also observe that, pre-colonization and European colonization are favoured in higher second education, while in lower secondary education, history curriculum lean towards European colonization and contemporary Africa. Moreover, themes such as the decolonization as well as apartheid are more are less overlooked at the primary level, since they were respectively studied by 15 and 4 countries.
Theses notions and themes can be taught with different approaches, namely thematic, chronological, or the two combined. Most of the respondents opted for a supple pedagogical practice. However, we can note that English-speaking countries tend towards a more chronological approach in secondary education.

With reference to history teaching material, although states overtake a significant part of textbook production (68%), we can notice that non-African publishing houses overtake 38.6% of textbook production, which can be considered as rather high.
Furthermore, figures show that history textbooks are given for free to primary, lower, and higher secondary students in respectively 50%, 11% and 20% of the countries. Thus, the purchase of textbooks effects more than 38% of pupils and their parents in primary, 56.8% in lower secondary and higher secondary. Considering that 36 out of 44 countries declared that the main pedagogical material used by primary and lower secondary pupils are states’ elaborated textbooks, governments, for reason of fairness and justice, should ensure better supply history materials. Solving this issue would also promote a practical continuity between classes and out-of-school learning experiences. Moreover, African oral traditions are used as pedagogical materials in primary, lower secondary and higher secondary, by respectively 24, 21 and 22 countries.

When it comes to the use of the General History of Africa volumes, only 19 countries out of the 44 participants declared that these publications were known among their core of history teachers, and 30 countries declared that the GHA volumes were not available to history teachers. Moreover, 45.45% of countries responded that they were not familiar with this work, while certain countries asserted that they had never heard of it. These figures attest to the scarce availability of the GHA volumes on the continent, which greatly hinders its pedagogical use.

In a context of fostered unification, and a rising Pan-African spirit among the nations (cf Continental Free Trade Area negotiations, and the ongoing negotiations for a unique currency for the west African economic community), it appears that African states are ready to work towards the renovation of their education system. Indeed, 80% of African countries agreed on the relevance of the UNESCO General history of Africa collection, and on the need for a common curriculum for all of primary and secondary levels. However, as highlighted by Professor Zakari DRAMANI-ISSIFOU, a dual attitude is necessary for this project to be successfully implemented. The states’ institutions will have to adopt a single history curriculum, and adapt to the sub-regional and national specificities. This step should be done without calling into question the very essence of the project, which is to rise for children and students, a Pan-African perspective of African history, above the many artificial frontiers that separate them. Therefore, consultation and coordination sessions between African states will have to take place in order to jointly define the fundamental themes to be addresses within the common history curriculum.
Finally, the extent to which Africa’s history is made valuable will depend on the willingness and capability to decolonize minds and mentalities, and create a healthy bond to be able to “think Africa, act Africa”.

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Les mémoires du continent au rendez-vous https://lagrandeafrique.com/les-memoires-du-continent-au-rendez-vous/ https://lagrandeafrique.com/les-memoires-du-continent-au-rendez-vous/#respond Sat, 21 Apr 2018 15:35:39 +0000 https://lagrandeafrique.com/?p=1266

Les mémoires du continent au rendez-vous

Par Laura Léger.

Raconter l’Histoire générale de l’Afrique est un véritable défi requérant la décolonisation de l’Histoire pour révéler l’identité panafricaine.

Comment pouvons-nous réécrire l’Histoire oubliée d’un continent ? C’est cette interrogation soulevée par un mouvement intellectuel africain puis portée par la volonté politique qui a permis la création d’un projet unique sous l’égide de l’UNESCO. Entre 1964 et 1999, 230 historiens majoritairement africains se sont saisis du passé pour donner naissance aux 8 volumes de L’Histoire générale de l’Afrique. Mais cette ambition ne se limite pas seulement à la réparation d’une injustice historique. Une deuxième phase du projet, instaurée dès 2009, souligne l’importance de l’adaptation des ouvrages pour un enseignement commun aux nouvelles générations des pays de l’Union Africaine. Cette priorité éducative promeut une véritable culture continentale dans la perspective de diffuser une unité authentique des populations africaines.

Un Comité scientifique pour la rédaction de l’Histoire générale de l’Afrique (Source : UNESCO)

Trois millions d’années sans jugement partial, trois millions d’années sans idée reçue, trois millions d’années relatées formant un tout pour contribuer à l’histoire de l’humanité : c’est la mission de cet engagement culturel dans la redécouverte des fondements et des problématiques de l’Afrique.

L’africanisation de l’enseignement est alors un véritable challenge. Remettant en cause des théories euro-centrées ancrées dans notre société, elle donne un sens à l’héritage commun du continent car, comme l’a si bien dit l’immense historien burkinabè Joseph Ki-Zerbo, « l’Afrique a une histoire. L’Afrique, berceau de l’humanité, a enfanté l’histoire. C’est pourquoi chaque Africaine, chaque Africain doit être, ici et maintenant, une valeur ajoutée. Chaque génération a des pyramides à bâtir. » . Le désir d’une citoyenneté fière de ses origines créé une Histoire globale témoignant des similitudes des civilisations tout en incluant les multiples particularismes. L’Afrique serait alors la première région du monde à porter un tel projet, c’est-à-dire enseigner une histoire commune et promouvoir une mémoire culturelle collective pour un milliard d’individus.

Mettre au goût du jour la richesse d’un passé demande un travail de longue haleine et établir l’utilisation pédagogique de cette densité historique sollicite des aptitudes éducatives considérables. Mais ce passage à l’action didactique est nécessaire car « l’enseignement de l’histoire contribue à former les identités des peuples et à mieux comprendre non seulement la diversité culturelle mais aussi les valeurs et le patrimoine communs à l’Afrique » comme le souligne le communiqué de l’UNESCO de 2011. Dans cette perspective, le comité scientifique présidé par Elikia M’Bokolo et chargé de promouvoir l’utilisation de l’Histoire générale de l’Afrique a mis en lumière la nécessité d’un travail de réflexion autour de différents supports. Ainsi, la rédaction d’un glossaire aux terminologies décolonisées et la création d’atlas exposant la place de l’acteur africain dans le monde permettraient une meilleure appropriation de l’histoire complexe de l’Afrique. D’autre part, l’élaboration de manuels scolaires plus approfondis selon le niveau d’étude et l’organisation de supports matériels comme des jeux, des bandes dessinées ou des documentaires ont pour finalité de développer le sens critique et la curiosité des jeunes tout en affirmant la responsabilité d’un accompagnement dans la prise de conscience de cet héritage partagé.

Elikia M’Bokolo lors d’une réunion du Comité scientifique pour l’Histoire générale de l’Afrique (Source : UNESCO)

Toutefois, la mise en valeur de cette Histoire commune n’est pas seulement l’affaire d’historiens et d’experts. Une Coalition internationale des Artistes pour l’Histoire générale de l’Afrique s’est formée dès 2015 pour délivrer un message fraternel et secouer nos imaginaires. Différentes réflexions artistiques – regroupant musique, littérature ou encore arts-plastiques – mettent en valeur l’identité du continent à travers la richesse du patrimoine africain. Cette initiative permet aux jeunes d’avoir une accessibilité originale à leur histoire et dévoile d’autant plus cette volonté collective de promouvoir l’utilisation pédagogique de ce travail exceptionnel.

Le congolais Ray Lema, président de la Coalition internationale des Artistes pour l’Histoire générale de l’Afrique (Source : RFI Savoirs)

Ainsi, cette vision panafricaine de l’Histoire est à la fois un moyen d’exposer les racines d’un peuple unique par son évolution, et une volonté d’affirmer un sentiment de fierté pour mener les nouvelles générations vers la maîtrise des enjeux du continent et la construction d’une paix durable.

Pour en connaître davantage sur l’aventure africaine dès sa genèse, nous vous invitons vivement à feuilleter cette Histoire Générale de l’Afrique que vous trouverez gratuitement et en version pdf sur le site de l’UNESCO.

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De l’importance d’étudier l’histoire de l’Afrique https://lagrandeafrique.com/de-limportance-detudier-lhistoire-de-lafrique/ https://lagrandeafrique.com/de-limportance-detudier-lhistoire-de-lafrique/#respond Tue, 17 Apr 2018 14:50:59 +0000 https://lagrandeafrique.com/?p=1250

De l’importance d’étudier l’histoire de l’Afrique

Par Ayrton Aubry.

Près de 10 ans après le discours de Dakar du 27 juillet 2007, force est de constater que les poncifs hégéliens sur l’Afrique n’ont pas perdu de terrain. S’il est moins question de dire ouvertement que « l’homme africain n’est pas entré dans l’histoire », préjugés et méconnaissance du continent continuent à très (trop) souvent formater les représentations du continent. Il n’est ainsi pas rare que les violences y soient considérées comme normales, ou que certaines situations économiques ne soient perçues que comme la suite logique d’une situation préexistante imaginée.

Pour nous, ces éléments sont le signe que les images exceptionnalistes du continent sont encore bien présentes. L’objet de La Grande Afrique est de faire évoluer ces récits, sur les plans politique, économique, culturel et historique. Par exemple, notre série Great African Empires s’inscrit dans cette dynamique : nous avons la naïveté de considérer que si Henri Guaino et Nicolas Sarkozy avaient eu une connaissance plus approfondie du royaume d’Aksoum ou de l’empire Songhay, le discours de Dakar aurait pris une forme différente.

Pour l’historien burkinabé Joseph Ki-Zerbo, « L’histoire dans tous les pays du monde remplit une fonction individuelle et collective, c’est la fonction de la mémoire, et je pense que cela vaut pour tous les peuples du monde. C’est une fonction qui sert à tisser le passé avec le présent, et en projection vers l’avenir […]. Cette historicité qui nous a été niée, c’est une sorte de mission que de la rétablir. C’est ce que nous appelons la conscience historique […], qui fait le lien entre les trois temps de l’histoire ».

L’histoire donne du sens. Elle fait référence au passé, bien sûr, mais aussi au présent et au futur. Ce qui nous semble important ici – et c’est le sens que nous donnons à la rubrique H&I – c’est que l’histoire est un moyen d’imaginer l’avenir. Etudier les grands empires africains et leurs relations avec le monde permet bien sûr de sortir d’une vision hégélienne du continent. Au-delà, l’histoire africaine permet de penser l’Afrique-monde au XXIème siècle.

En outre, apprendre l’histoire fournit un bouclier contre le présentisme. Qu’un empereur malien ait pu être l’homme le plus riche de l’histoire de l’humanité relativise une vision misérabiliste que l’on peut avoir du continent aujourd’hui. Qu’il ait existé un projet politique porté par certains dirigeants d’unifier l’Afrique sous un seul drapeau peut être une source d’inspiration pour les jeunesses panafricanistes.

Imaginer l’avenir donc. C’est un vaste projet, aux défis immenses. La génération des historiens de 1956 (Cheikh Anta Diop, Joseph Ki-Zerbo en particulier) avait déjà posé les jalons de cette entreprise. Leurs héritiers, Elikia M’bokolo en tête, ont vaillamment repris le flambeau, et forment encore aujourd’hui les nouveaux historiens de l’Afrique. Mais ce travail n’a de sens que s’il est relayé dans les grandes universités où se forment les élites africaines de demain. C’est le cas de Sciences Po.  

Consciente des défis éducatifs majeurs auxquels le continent africain est actuellement confronté, l’ASPA organise son premier colloque, le samedi 28 avril 2018, autour du thème : « Penser ensemble l’éducation en Afrique : Une exigence pour l’avenir ». Ce premier colloque de l’ASPA a vocation à concentrer l’attention sur la question du devenir de l’éducation en Afrique, lequel doit désormais être perçu comme un bien public mondial : l’avenir de l’Humanité étant plus que jamais dépendant de celui de l’Afrique. Dans ces conditions, nous avons fait appel à des intervenants dont l’expertise et le parcours reflètent la diversité linguistique et culturelle du continent. Les travaux de ce colloque doivent pouvoir fournir des réponses concrètes aux défis de demain. Afin de découvrir notre programme, nos intervenants, et les moyens d’inscription, rendez-vous sur la page dédiée, sur notre site : https://aspasciencespo.fr/le-colloque/

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Lecture : Figures de la révolution africaine https://lagrandeafrique.com/lecture-figures-de-la-revolution-africaine/ https://lagrandeafrique.com/lecture-figures-de-la-revolution-africaine/#respond Thu, 12 Apr 2018 15:33:21 +0000 https://lagrandeafrique.com/?p=1240

Lecture : Saïd Bouamama, Figures de la révolution africaine (2017)

Par Ayrton Aubry.

Un vent de renouveau semble souffler ces dernières années sur l’histoire des idées et des personnalités en Afrique. Africa Unite !, que nous vous présentions dans un précédent article, réactualisait déjà la compréhension du panafricanisme, en insistant sur ses implications actuelles. Dans Figures de la révolution africaine, paru en 2013 et réédité en 2017 aux éditions La Découverte, Saïd Bouamama suit un chemin semblable, en dépoussiérant certains grands leaders indépendantistes du continent. Plutôt spécialiste des questions sociales en France, le militant antiraciste et proche de l’extrême gauche propose ici les bases d’un renouvellement de la lutte.

La démarche d’ouverture du livre est fondamentale dans l’étude militante des révolutions africaines : démontrer qu’il y a eu des résistances à la traite et la colonisation. Si cette étape peut paraître anecdotique, il n’en est rien. Elle permet d’aller à l’encontre de l’image communément admise de l’esclave enchaîné, les épaules basses, qui monte en trainant des pieds sur le bateau qui le fait traverser l’Atlantique. Bousculer les représentations, et révéler les mouvements de résistance qui existaient tout au long de la traite permet de rendre possible la résistance africaine dans l’imaginaire contemporain. La première étincelle de la révolution peut commencer à briller.

La démarche de Bouamama est très intéressante car elle systématise l’étude de la continuité ou de la rupture entre le leader indépendantiste et le dictateur postcolonial. C’est notamment le cas de Jomo Kenyatta, « un réformisme permanent qui se transforme par la suite en politique réactionnaire » (p59). Les autres leaders n’ont malheureusement pas eu le temps de suivre cette voie, ayant été assassinés (Ben Barka, Thomas Sankara, Patrice Lumumba etc.) ou renversés (Kwame Nkrumah).

Sur certains points anecdotiques, l’ouvrage peut apporter des informations surprenantes. Ainsi, dépassant un peu son sujet, mais restant passionnant, le livre mentionne la tournée en Afrique en 1957 de Nixon, alors vice-président des Etats-Unis, et le rapport qu’il écrit après sa visite au Ghana nouvellement indépendant : The Emergence of Africa. Il y fait le lien entre les indépendances africaines et la question noire aux Etats-Unis, et proclame notamment l’importance d’en finir avec les discriminations raciales au pays de l’oncle Sam.

Les chapitres sur Patrice Lumumba et sur Kwame Nkrumah sont à nos yeux de loin les plus aboutis de l’ouvrage. Ils apportent de réels éléments sur l’évolution de la pensée philosophique et politique de ces protagonistes. L’auteur y trouve un équilibre parfait pour présenter sans insister le contexte postindépendance comme une contrainte, qui mène finalement à leur chute (l’assassinat de Lumumba en janvier 1963 et le coup d’Etat contre Nkrumah en 1966).

Le livre peine parfois à garder une ligne claire, ce qui devient flagrant dès la deuxième partie, où l’auteur rappelle longuement des événements pourtant très connus des indépendances et de la guerre froide (crise de Suez etc.). Par ailleurs, il présente, contrairement à ce qui est annoncé en introduction, des personnalités intellectuelles qui n’ont pas eu de responsabilités politiques majeures, comme Franz Fanon. Or, un des intérêts centraux du livre est de montrer la confrontation des idées, notamment révolutionnaires, à la pratique du pouvoir. Le chapitre sur Fanon vient brouiller cette ligne directrice, et pose plus de questions que de réponses sur la cohérence de l’ouvrage. Surtout, il révèle l’absence criante d’autres personnalités du même ordre que Fanon, comme Cheikh Anta Diop.

En dressant des portraits individuels des leaders des révolutions africaines au XXème siècle, c’est bien une carte du monde en réseau que nous propose Saïd Bouamama. A l’occasion des grands congrès panafricains, les villes de Londres et d’Accra deviennent des lieux de rencontre pour Kwame Nkrumah, Jomo Kenyatta, W. E. B. Dubois etc., et Alger (« la Mecque des révolutionnaires », selon Amilcar Cabral) voit se croiser Mandela, Ben Barka, Che Guevara, Malcolm X etc.

Lorsqu’il le fait sans déséquilibre (sans insister trop lourdement sur le contexte national par exemple), l’ouvrage est extrêmement stimulant pour comprendre les dynamiques internationales dans lesquelles évoluent les personnalités étudiées. Sur ce point, le chapitre sur Malcolm X est particulièrement intéressant, car il est recontextualisé entre Dien Bien Phu, Bandung, Suez, indépendance du Ghana et multiplication des congrès panafricains.

Il manque peut-être à ce travail un chapitre conclusif (l’ouvrage se termine abruptement par le chapitre sur Thomas Sankara), qui interrogerait de manière plus générique le rôle des personnalités et des idées dans l’évolution des sociétés et des institutions. Cela aurait été l’occasion de questionner les raisons de l’absence de telles personnalités aujourd’hui, et ainsi pleinement répondre aux ambitions affichées dès les premières lignes, de fournir au monde des raisons de se mobiliser.

Si vous êtes avides de connaissances sur des personnalités et des courants qui ont marqué l’histoire de l’Afrique, et leurs conséquences aujourd’hui, alors Africa Unite ! nous semble plus pertinent. Mais Figures de la révolution africaine est à mettre impérativement dans votre bibliothèque si vous voulez comprendre comment se forge une pensée, et comment elle évolue par la pratique du pouvoir. Cette évolution est le fruit des voyages, séjours, rencontres et lectures, que Saïd Bouamama met systématiquement en avant, du début à la fin de son travail.

Référence : Saïd Bouamama, Figures de la révolution africaine, Paris, La Découverte, 2017

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Lire Achille Mbembe https://lagrandeafrique.com/lire-achille-mbembe/ https://lagrandeafrique.com/lire-achille-mbembe/#respond Fri, 16 Mar 2018 10:30:19 +0000 https://lagrandeafrique.com/?p=1155

Lire Achille Mbembe

Par Ayrton Aubry.

Lire Achille Mbembe, c’est comme entrer dans un nouvel environnement. Il faut s’adapter à des codes inédits, afin d’en maitriser les règles du jeu. Pour paraphraser un feu capitaine du Gondor, « one does not simply go into a Mbembe’s book ». Les premières phrases peuvent être déroutantes, mais elles dégagent quelque chose. Alors on les relit, et la poésie se révèle, la prose se déroule, fluide et solide, comme un océan qui assène ses lourdes vagues d’arguments. Les formes non coloniales de l’impérialisme, dans Sortir de la grande nuit. L’origine et les mécanismes de négrophobie dans Critique de la raison nègre. Les guerres menées par les démocraties et le néolibéralisme dans Politique de l’inimitié, pour ne citer que ses derniers ouvrages.

Nouvel environnement aussi, car digérer les notes de bas de page chez Mbembe peut prendre plus de temps que la lecture du corps du texte. Ce sont autant de fenêtres sur une littérature connue (Fanon, Foucault, Valentin Yves Mudimbe, Arendt, entre autres reviennent régulièrement) et moins connue (notamment les travaux sur le néolibéralisme, sur l’esthétique des corps etc.), qui dressent le portrait intellectuel d’un des plus importants chercheurs africains du XXIème siècle.

Achille Mbembe naît au Cameroun, en 1957 (il raconte son enfance dans le pays dans Sortir de la grande nuit), et se forme en Tanzanie, dans l’ambiance estudiantine marxiste de l’université de Dar Es Salam, après avoir préparé une maitrise d’histoire (pas immédiatement soutenue) sur les violences de la décolonisation du Cameroun. Il vient ensuite en France, où il prépare un doctorat sous la tutelle de Catherine Coquery-Vidrovitch, qu’il complète par un DEA à Sciences Po. C’est là qu’il rencontre Jean-François Bayart, et l’école de la politique du ventre, fédérée autour de la revue Politique Africaine (aujourd’hui portée entre autres par Richard Banégas et Béatrice Hibou à Sciences Po). Depuis le début des années 2000, après un passage au CODESRIA, il enseigne à l’université de Johannesburg, au Witwatersrand Institute of Social and Economic Research.

Disons-le, la lecture d’Achille Mbembe est plus abordable si vous avez déjà approché les écrits de Fanon (au moins Peau noire, masque blanc, et Les damnés de la terre) : un nombre important de ses expressions se retrouve chez lui, jusqu’à parfois faire l’objet d’un chapitre entier (« La pharmacie de Fanon », dans Politique de l’inimitié), voire le titre d’un livre (Sortir de la grande nuit par exemple).

Si l’on passe sur « le 1er Mbembe » et ses coopérations avec l’école de Bayart sur la politique par le bas en Afrique, au début de sa carrière universitaire, nous pouvons retenir quelques éléments clés de l’itinéraire philosophique emprunté par « le 2nd Mbembe » depuis lors. Un point de départ récurrent est le constat du caractère “provincial” du discours, et la considération plus générale que tous les concepts sont régionalement situés. Cela invite à relativiser l’universalisme des concepts occidentaux. Ainsi, « l’Occident n’a jamais véritablement pensé sa propre finitude », explique-t-il, encore une fois à partir de Fanon.

Figure marquante des études postcoloniales, le philosophe exprime sa position dans deux ouvrages : De la postcolonie, et Sortir de la grande nuit. Il s’y interroge sur la signification de la modernité et sur les formes que doit prendre une pensée postcoloniale. Pour lui cette dernière doit être avant tout ouverte, et rejoint le mouvement de décentrement du monde précisé plus haut, qui implique de considérer l’hétérogénéité des modes de penser.

Cette ouverture permet de faire contrepoids à la fermeture vis-à-vis de ce que les uns ou les autres peuvent considérer comme une menace. Aussi, Mbembe analyse les réactions des démocraties face au terrorisme comme une répétition des mécanismes de la peur. L’espace public, normalement lieu de discussion, perd alors son sens : il n’y a plus de débat sur le vrai ou le faux, le oui ou le non. Ce qui est stigmatisé aujourd’hui est le doute, incompatible avec les émotions et « la libération totale des énergies volontaristes […] et vitales nécessaires pour employer la violence et, s’il le faut, répandre le sang ». Plus largement, cette argumentation se déploie autour d’une critique approfondie du néolibéralisme dans toutes ses manifestations, de l’esthétique à la politique, en passant par l’économie.

Achille Mbembe est l’artisan du concept de nécropolitique comme expression de la souveraineté et de la domination: « le pouvoir et la capacité de dire qui pourra vivre et qui doit mourir ». Il appuie sa démonstration sur le concept de biopouvoir de Foucault, et y apporte une dimension internationale, à travers l’exemple de l’Afrique subsaharienne mise en dépendance par la dette publique. “Pourquoi meurent-ils pour que nous puissions vivre?” est une des questions posées par la nécropolitique.
Dans ses derniers travaux, Mbembe livre ses réflexions sur une philosophie de l’« en-commun » plutôt que de l’universel (dont les auteurs sont toujours géographiquement et historiquement situés), qui s’accorde avec une éthique du passant : nous naissons avec une dette envers nos anciens, que nous remplissons en laissant un héritage à nos enfants. C’est une des caractéristiques de la « politique du vivant », notamment vis-à-vis de la planète.

Enfin, comment ne pas mentionner les formidables passages de Politique de l’inimitié sur le nanoracisme ? A la fois incroyablement tranchant et sans cesse rappelé par l’actualité, ce développement possède une force linguistique qui ne peut laisser personne indifférent, et pourrait bien être récité en rap ou en slam. En voici un court extrait : « Mais que faut-il comprendre par nanoracisme, sinon cette forme narcotique du préjugé de couleur qui s’exprime dans les gestes apparemment anodins de tous les jours, au détour d’un rien, d’un propos en apparence inconscient, d’une plaisanterie, d’une allusion ou d’une insinuation, d’un lapsus, d’une blague, d’un sous-entendu et, il faut bien le dire, d’une méchanceté voulue, d’une intention malveillante, d’un piétinement ou d’un taclé délibérés, d’un obscur désir de stigmatiser, et surtout de faire violence, de blesser et d’humilier, de souiller celui que l’on ne considère pas comme étant des nôtres ? ».

Achille Mbembe est également présent (et plus accessible) dans les médias, et notamment francophones (citons Le Monde, Le Point, Médiapart, Le Monde Diplomatique, mais aussi Jeune Afrique, où ses idées sont relayées par Séverine Kodjo-Grandvaux). Avec Alain Mabanckou et Felwine Sarr, il est un des initiateurs des Ateliers de la Pensée de Dakar, qui se tiennent en novembre tous les ans depuis 2016, dont les thématiques reflètent en partie ses centres d’intérêts (les politiques du vivant, lors de la dernière édition par exemple).

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