Par Ayrton Aubry
Le Garçon qui dompta le vent est le premier film de Chiwetel Ejiofor qui se place cette fois des deux côtés de la caméra. La narration est divisée en quatre chapitres, qui suivent les différentes étapes de la culture d’un champ, en allant des aléas climatiques, aux inondations et à la pluie. L’histoire suit la famille de William Kamkwamba qui devra faire face à une mauvaise récolte suivie d’une famine au Malawi en 2001. C’est donc l’intégralité de cette histoire familiale; de ses origines à sa fin que l’ auteur nous invite à suivre.
L’enfant qui dompta le vent évite de nombreux pièges de l’ ethnocinéma ; un cinéma qui essentialise le continent et le représente de manière unanime et atemporelle (nous élargissons ici le concept d’ ethnophilosophie proposé par Paulin Hountondji). On évite par exemple les clichés sur les paysages indomptés, la brousse et la jungle (sans cohérence géographique) qui existent dans certains long-métrages. Le film évite aussi de présenter ses enjeux comme une simple opposition entre la « tradition » et la « modernité ». La contradiction vis à vis du personnage principal est rendue visible à travers le personnage de l’enseignant dans la première partie du film. Cette figure d’opposition se retrouve à travers le père dans la deuxième partie du film. Les contradictions sont présentées de manière nuancée. Chaque personnage fait face à ses responsabilités et sa conscience, sans toujours prendre les bonnes décisions, mais sans être mauvais par essence.
Il peut paraître malheureux de se réjouir de cela en 2019 pourtant, Le Garçon qui dompta le vent apporte une bouffée d’air frais (sans mauvais jeu de mots avec le titre du film) en ce qui concerne les choix de langue opérés. Il n’y a pas si longtemps par exemple, on pouvait entendre dans l’adaptation de La promesse de l’aube les habitants d’un village de l’actuelle République Centrafricaine s’exprimer en… wolof. Dans l’oeuvre de Chiwetel Ejiofo, c’est le chichewa qui est parlé en alternance avec l’anglais.
La puissance de ce film est qu’il se situe précisément dans notre thématique de ce mois-ci à savoir: l’innovation et la technologie. En effet, le film nous invite à réfléchir à l’usage et à la maîrtrise de l’énergie sur le continent africain. Un des enjeux soulevé dès le début du film a été la nécessité d’étudier de nuit, ce qui est impossible sans lumière artificielle. A l’heure de la multiplication des projets « d’électrification de l’Afrique », le message est fort et doublement intéressant car personne n’adopte la posture paternaliste du sauveur qui vient apporter la lumière. C’est William Kamkwamba qui étudie les mécanismes de fonctionnement d’une éolienne et s’efforce d’en reproduire une pour faire fonctionner une pompe électrique chez lui.
Le Garçon qui dompta le vent présente intelligemment dans quelle mesure une famine n’est pas le seul fait des éléments naturels. Dans ce cas précis, ce ne sont pas seulement les inondations puis la sécheresse qui en sont la cause. Le film présente très clairement le poids des décisions individuelles et collectives qui transforment les aléas climatiques en famine : les fermiers vendent leurs terres aux producteurs industriels de tabac, qui rasent massivement les arbres. Par conséquent, la terre s’érode, l’eau n’est plus absorbée et des inondations ont alors lieu. La situation s’aggrave encore lorsque les institutions financières internationales (FMI, Banque Mondiale) prédisent des récoltes de bonne qualité pour cette année, et poussent le gouvernement à vendre ses réserves de nourriture. L’Etat ne peut donc pas faire face à la sécheresse qui survient dans les mois suivants, et provoque une famine.
Un des écueils du film est l’opposition entre l’agriculture et l’université : les deux enfants de la famille ne peuvent pas faire des études et travailler dans les champs, selon la narration. Il en résulte que les personnages principaux sont présentés comme devant à tout prix « échapper » aux champs par l’université. Avant la fin de l’histoire, aucune alternative n’est présentée à ces deux voies, et aucune synthèse ne semble possible, ce qui est d’ailleurs contradictoire avec le parcours de William Kambwamba lui-même, dont l’autobiographie est l’inspiration du film.
Plus largement, en termes de productions culturelles sur le continent, L’enfant qui dompta le vent pose au moins deux séries de questions. La première est liée à la quête d’authenticité des récentes productions cinématographiques. Certains réalisateurs attachent aujourd’hui une importance particulière à véhiculer une image du continent ancrée dans la réalité, et à se détacher des représentations traditionnelles et homogènes du continent par les Occidentaux. Toutefois, cette quête d’authenticité, que nous soutenons de toutes nos forces, flirte avec le risque de tomber dans l’autre extrême; celui de représenter le continent comme l’exact opposé de l’ ethnocinéma, et donc de se positionner uniquement par rapport à lui. L’ ethnocinéma ne dira alors rien de plus sur les réalités qu’il veut représenter. La deuxième série de questions est liée à la thématique du journal de ce mois-ci : la place des nouvelles technologies dans la distribution des productions culturelles. Les principaux succès du cinéma africain de l’année 2019 ont été distribués sur Netflix, et peu en salles. Qu’est-ce que cela traduit-il de la visibilité des pratiques culturelles liées au continent aujourd’hui ? Nous n’avons pas de réponse mais ces questions méritent d’être creusées car elles contribueront forcément à la formation du cinéma africain de demain.