Bobi Wine ou l’épine dans le pied de Museveni

Depuis quatre ans, la star de la musique ougandaise s’est lancée en politique et fait des émules parmi la population au grand dam du président du pays, Youri Museveni, qui tente de se maintenir au pouvoir malgré une contestation populaire qui s’exacerbe.

 

      « Dieu, délivre nous des tyrans et oppresseurs, qui trouvent de la joie en détruisant les leurs, sauve-nous de tous ces politiciens et leurs égoïstes désirs d’hommes » chante Bobi Wine dans « Bullet or Ballot Ugandan». Cette chanson engagée et panafricaniste évoque le besoin de liberté des africains, qu’ils doivent revendiquer par la révolution. Un clin d’œil très clair aux ougandais donc. Le ton est donné.  Bobi Wine est arrêté le 18 novembre dernier lors d’un de ses rassemblements de campagne à Jinja, accusé de ne pas respecter les mesures sanitaires, avant d’être relâché. L’artiste de l’opposition apparaît aujourd’hui comme la principale épine dans le pied de l’actuel chef d’Etat, en vue des prochaines élections présidentielles de 2021. 

      L’Ouganda, pays de l’Afrique des Grands Lacs coincé entre le Rwanda, la Tanzanie, le Kenya, la République Démocratique du Congo et le Soudan du Sud, compte près de 43 millions d’habitants. Cette ancienne colonie britannique, se place 151e du classement Transparency International sur 180 pays et 125e du classement de la liberté de la presse 2020. À ces chiffres peu flatteurs s’ajoutent des problèmes sécuritaires aux frontières avec la République Démocratique du Congo et le Soudan du Sud. Dans une région agitée par de nombreux conflits, l’Ouganda fait tout de même figure de stabilité en comparaison avec ses voisins. Le président met d’ailleurs en avant la paix en Ouganda sous son régime pour le légitimer, selon le chercheur Kristof Titeca. 

      Le régime est dirigé par Yoweri Museveni, installé au palais présidentiel depuis 1986. Ancien militaire, il a fait partie des combattants de l’Armée de Libération Nationale durant la guérilla contre le régime de Milton Obote, qui a agité le pays entre 1981 et 1986. Réélu à plusieurs reprises dans les années 1990, il n’accepte le multipartisme qu’en 2005, après dix-neuf ans de règne du parti unique au pouvoir, le National Resistance Movement (NRM). Si d’autres partis politiques et candidats aux différentes élections sont désormais autorisés, le processus électoral est régulièrement dénoncé comme frauduleux, à l’image des élections présidentielles et législatives de 2016. Les réseaux sociaux avaient été coupés et des incidents reportés par des observateurs internationaux. 

      Mais c’est bien en janvier 2018, alors que le chef d’État parvient à supprimer la limite d’âge constitutionnelle d’un candidat présidentiel, qui prévalait auparavant, lui laissant ainsi le champ libre pour la prochaine échéance électorale de 2021, que la contestation s’intensifie. Yoweri Museveni, 76 ans actuellement, pourrait rester au pouvoir encore 10 ans au moins, en briguant un sixième mandat. Une partie des ougandais opposés à l’homme d’Etat et à sa politique se sont galvanisés autour d’une des figures les plus connues du pays : le chanteur à succès Bobi Wine, de son vrai nom Robert Kyagulanyi Ssentamu. Celui qui est élu député depuis 2017 attire de plus en plus de jeunes en quête du changement d’un régime, le seul qu’ils aient connu jusqu’ici. Les 18-30 ans en Ouganda représentent en effet près de 25 % de la population totale. Si l’Etat ougandais a mis en place de nouvelles infrastructures ces dernières années, que le pays s’urbanise à grands pas et que l’éducation s’intensifie, ces jeunes continuent à rencontrer de nombreux problèmes. Ils souffrent d’un accès au marché de l’emploi difficile, phénomène accentué par la crise sanitaire. Bien souvent, seule la corruption donne des passe-droits, comme l’obtention d’une opportunité de travail. Au sein de certaines régions plus rurales comme le Bunyoro, obtenir des terres agricoles pour les jeunes agriculteurs est un parcours semé d’embûches. Les formations manquent également. Museveni misait sur l’apport de revenus et la création d’emplois avec le projet d’exploitation pétrolière du lac Albert. Or le projet n’est toujours pas achevé à ce jour. Compréhensible donc que cette tranche de la population soit un des enjeux du prochain scrutin, ce dont Bobi Wine a conscience. Il passe ainsi de leur chanteur adulé à homme politique apprécié et digne de confiance. Sa principale faiblesse reste cependant d’attirer majoritairement des électeurs urbains, lui qui a grandi dans un des bidonvilles aux abords de Kampala, la capitale. 

     Régulièrement arrêté depuis plusieurs années, l’opposant profite d’une popularité grandissante. Au point que des dizaines de manifestants en colère se soient fait arrêtés eux-aussi, lors de manifestations organisées pour dénoncer sa détention. D’autant plus,  qu’ironie du sort, le président Museveni a lui continué sa campagne, rencontrant ses partisans à plusieurs reprises, sans respect des consignes sanitaires contre la Covid-19. Le 18 novembre, on dénombre officiellement 37 morts lors de ces rassemblements et plusieurs dizaines de blessés, certains par balles. La répression policière est récurrente en Ouganda ; d’autres candidats officiels aux élections de 2021 ont dénoncé des violences policières et suspendu leurs meetings en signe de protestation. Certains journalistes et organes de presse font également face à des pressions depuis le début de la campagne. Le président se sait en danger face à cet artiste militant désormais médiatisé à l’international. Mais Museveni reste populaire parmi les citoyens ruraux plus âgés, ceux qui ont connu les années de chaos de l’avant 1986 et qui craignent le changement. Cet enthousiasme auprès de l’opposition est donc à relativiser. 

 

     Malgré les pressions récurrentes, le principal candidat de l’opposition, parfois surnommé « le président du ghetto », est bien déterminé à participer à cette élection. Il appelle ses partisans à voter en sa faveur le 14 janvier prochain, pour, ,peut-être, amorcer une révolution, comme il l’écrit dans son nouveau titre phare. 

 

 

Sources :

 

https://www.france24.com/fr/afrique/20201120-pr%C3%A9sidentielle-en-ouganda-les-tensions-redoublent-apr%C3%A8s-l-arrestation-de-l-opposant-bobi-wine  

  • Golarz, Médard, Mwangi, Equipe M-PRAM, « Ouganda, les jeunes dans la région du lac Albert » dans Afrique Contemporaine, n°259, 2016 

https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2016-3-page-95.htm#no5  

  • « Bobi Wine has already changed the Ugandan opposition. Can he change the government? » dans The Conversation, datant du 22/11/2020

https://theconversation.com/bobi-wine-has-already-changed-the-ugandan-opposition-can-he-change-the-government-150231