Bien que la pandémie soit de nature mondiale, la manière dont les populations du monde entier l’ont vécu n’est pas la même. Si aujourd’hui la France va potentiellement entrer dans son troisième confinement, Madagascar n’en est qu’à son premier. Cependant, les dégâts ne sont pas moindres et la difficulté financière, sociale, médicale, etc. se creuse de jour en jour.
Un entretien avec une personne ayant contracté une forme grave du Covid-19 venant de Madagascar a été réalisé pour relater comment la pandémie se vit dans ce coin de l’Afrique. Elle s’appelle Mamy Soa ANDRIANANTENAINA et est Chef de Service responsable des Etudes et Développement dans un établissement public.
Sous forme de question réponse, la situation se présente comme suit :
- Comment vous vous êtes organisé pour le confinement ? Est-ce que ça a été un choc ?
Au tout début du confinement, nous avons pratiqué le service minimum, on a travaillé à demi-journée ou bien on s’organise en alternance entre collègues. Ensuite, en période de pic, nous étions obligés de travailler à domicile, en télétravail donc, la réunion se faisait en Teams ou Zoom… Oui, ça a vraiment été un choc, surtout le jour où on a appris que le COVID est arrivé à Madagascar.
- Que pensez vous des mesures prises par le gouvernement Malagasy ?
Les mesures prises ont été un peu prématurées, ne correspondent vraiment pas à la réalité, et n’ont pas donné les résultats escomptés. Il n’y a pas vraiment eu d’ impacts palpables.
- Qu’est-ce que le COVID et le confinement ont changé dans votre vie quotidienne ?
Le COVID a vraiment bouleversé la vie quotidienne, du point de vue social, la pénurie des produits de première nécessité, l’augmentation des prix des denrées alimentaires, l’inexistence des transports en commun, … Tout cela a engendré de la frustration.
- Pensez-vous que si vous étiez dans un autre pays (plus “développé” peut être), vous auriez vécu la période de cette pandémie autrement ?
Je ne pense vraiment pas, à mon avis, ce serait toujours pareil, tous les gouvernements ont pris les mêmes mesures, et l’impact de ces mesures sera toujours le même, on est privé de sortie. Seulement, du côté social, les pays “développés” ont été plus organisés quant à la gestion des stocks des PPN et des denrées alimentaires….
- Quelle était la difficulté majeure pour vous ? Que pensez-vous des mesures prises par le gouvernement?
Etant salariée, on n’a pas vraiment eu de difficultés, le secteur où je travaille n’a pas souffert de la pandémie: on a continué à travailler et nous avons donc toujours perçu nos salaires.
En revanche, les pauvres et les sans emploi ou ceux qui travaillent dans le secteur informel ont beaucoup souffert. Le gouvernement a reçu beaucoup d’aides et de financements venant des organismes mondiaux. Cependant, ces derniers n’ont pas eu de réels impacts malgré la distribution de ces ressources. Par ailleurs, ces aides internationales ne sont pas arrivées à bonne destination. De plus, elles ont été concentrées dans la capitale Antananarivo alors que toutes les régions de Madagascar ont été touchées.
- Comment avez-vous affronté votre période covid ?
Moi-même, j’ai été atteinte du COVID avec une forme grave. Cela a été vraiment une bataille que je me suis livrée toute seule. J’étais admise en réanimation pendant une quinzaine de jours, et la situation n’a pas du tout été facile. Nous, ma famille et moi, nous nous sommes sentis faibles et désarmés et nous avons tout remis entre les mains de Dieu.
- Quels sont les bouleversements que cela a entrainé dans votre vie personnelle (familiale et professionnelle)?
J’ai dû me séparer de ma fille unique, on l’a laissée seule à la maison avec sa grand-mère pendant que j’étais à l’hôpital. En plus, étant donné que mon mari travaille dans un hôpital, on s’est doublement protégé par rapport aux autres, de peur qu’ils nous transmettent le virus, pour que je n’attrape pas le virus une deuxième fois.
Du côté professionnel, je n’ai pas pu travailler pendant 3 mois, je commence juste à reprendre petit à petit le rythme, actuellement, j’évite encore toute sorte de réunion.
On a limité la relation avec toute la famille, on s’est isolé pour ne pas contaminer les autres.
- Avez-vous reçu tous les soins nécessaires ? Est-ce que le gouvernement vous a aidé d’une manière ou d’une ou d’une autre ?
À ce sujet, je pourrais dire que j’ai un peu été gâtée par le système, peut-être du fait que mon mari travaille à l’hôpital, mais j’ai bénéficié des soins nécessaires qui ont conduit à ma guérison. En outre, le gouvernement a pris en charge les médicaments qui m’ont été prescrits pour guérir du COVID. Cependant, étant donné que je suis diabétique et en hypertension, on m’a prescrit d’autres médicaments à mes propres frais.
- A quel point le covid vous a coûté (en termes d’aptitude physique, psychologique, monétaire)?
Le COVID m’a coûté cher: j’ai dû réapprendre à marcher, à mastiquer. Pour le moment, je suis toujours en rééducation. Je limite encore mes activités, du côté professionnel, et je ne peux pas m’investir totalement. La fatigue me pèse toujours et je stresse facilement quand je fais un peu d’effort. Je suis toujours frustrée, j’ai peur d’être en contact avec les gens par peur d’attraper le virus, je suis devenue un peu paranoïaque et je ne me sépare jamais du gel hydroalcoolique que j’utilise chaque minute, si j’ose dire.
- Quels conseils donneriez-vous aux autres ?
À Madagascar, beaucoup de gens pensent que cette maladie n’existe pas, qu’on a inventé cette maladie, que c’est la maladie des riches. Moi, je peux témoigner que la maladie existe bel et bien à Madagascar, et que c’est une maladie très grave. C’est ainsi que j’invite les gens à être vigilants, à se protéger, à appliquer les gestes barrières. Cela nous permettrait d’ éviter bon nombre de contaminations.
- Quels sont vos souhaits pour le futur ?
Depuis le jour où j’ai contracté le covid, je n’arrête pas de prier, prier pour qu’on trouve le remède, le vaccin ou les médicaments, pour qu’on puisse se débarrasser de ce virus et qu’on puisse reprendre notre vie d’avant.
Crédit photo: RIJASOLO / AFP
Propos recueillis par Sitraka RABARY