Gbobètô: Faire du Déchet un levier de développement

Gbobètô est une association créée en octobre 2018 en France puis développée au Bénin, à Porto Novo, en mai 2019 par Naomi FAGLA MEDEGAN. Paola CHAPDELAINE est quant à elle une auto-entrepreneuse et artiste-auteure venue faire un reportage photo sur les activités de Gbobètô (qui signifie « ramasseur d’ordures »). Cette association se veut être une véritable entreprise sociale au service d’un développement urbain inclusif et durable au Bénin. Elle œuvre à faire du Déchet un levier de développement territorial en favorisant une économie circulaire créatrice d’emplois durables,  tout  en permettant  de rendre la ville plus propre et saine. 

J’ai eu la chance de pouvoir interviewer Naomi et Paola afin de mieux comprendre comment ce projet est né et comment l’association réussit à transformer le Déchet en ressource pour mieux vivre. 

 

Rim: Bonjour Naomi. Peux-tu m’expliquer comment t’es venue l’idée de créer Gbobètô , et pourquoi tu as choisi de créer cette association au Bénin et pas ailleurs? 

Naomi: Je suis métisse, de père franco-béninois et de mère française et après avoir grandi en France, je me suis rendue au Bénin lorsque j’avais seize ans et j’ai pu y observer la dégradation de l’environnement, ainsi que le manque d’emplois stables dans certaines régions. Cela m’a beaucoup impacté et a orienté mon choix d’éducation supérieure:  après mon baccalauréat, je me suis tournée vers le programme Europe-Afrique de Sciences Po (je faisais d’ailleurs partie de la première promotion de ce programme). J’ai ensuite choisi d’effectuer ma  troisième année d’échange au Ghana, à Accra. J’ai pu me rendre compte de nombreuses problématiques urbaines dans cette ville (problèmes dans la gestion des déchets,  dans le système et les infrastructures de transports…) 

Cela m’a donné envie d’intégrer  l’école d’urbanisme de Sciences Po et plus particulièrement le master “Governing the Large Metropolis” (GLM, au sein duquel j’ai pu me former  et me rendre compte de l’importance de la problématique des déchets. J’ai également compris que le Déchet pouvait être mis au service de populations locales pour qu’elles vivent mieux. J’ai obtenu mon diplôme en 2016,  avec déjà l’idée en tête de créer cette association. 

En effet, le “gbobètô”  offre un précieux service à la ville en évacuant les déchets des habitations et en revendant à divers acteurs économiques des matières valorisables. Les ramasseurs d’ordures créent donc de la valeur et de l’activité économique à partir d’un important défi urbain, dont les enjeux sont aussi bien environnementaux que sanitaires. Mais cette activité, en l’absence de revenus fixes, de protection sociale et d’équipements de travail et sanitaires appropriés reste très précaire. C’est toutes ces observations qui m’ont donné l’idée de créer Gbobètô.

Rim: Peux- tu expliquer à nos lecteurs les objectifs et le fonctionnement de l’association? 

Naomi: Notre principal objectif est de monter des filières pérennes et inclusives de valorisation des déchets à Porto Novo autour de trois axes : social, environnemental et économique. Ainsi, nous voulons stimuler l’économie locale autour des déchets, favoriser une économie circulaire et créer des emplois verts. Afin de remplir ces objectifs, nous avons créé plusieurs projets:

Les Recycleries. Ce sont des unités de tri professionnelles qui ont dans un premier temps pour objectif de créer les conditions matérielles et sanitaires adéquates pour permettre de pratiquer des activités de tri en toute sécurité sur des points de regroupement; et dans un second temps, d’appuyer la formalisation des acteurs qui pratiquaient le tri et la revente des matières recyclables dans la précarité afin de les transformer en opérateurs de tri professionnels. Le but c’est de créer le plus d’emplois verts possibles. Nous employons beaucoup de femmes et de personnes précaires. Nous avons également créé le Projet Énergie verte qui consiste à mettre en place une filière de valorisation des déchets organiques en combustible écologique. Avec ce projet, nous voulons également créer de nouvelles opportunités économiques sur le territoire en créant des emplois directs et indirects à chaque maillon de la chaîne de valeur (approvisionnement, production, distribution). Pour les distributaires, l’idée c’est que les femmes qui sont en situation précaire puissent devenir distributrices du produit une fois qu’il sera commercialisé. 

Le Comptoir du Plastique: ce projet vise à valoriser les déchets plastiques de type polyéthylène haute densité (PEHD) et polypropylène (PP). À l’heure actuelle, Gbobètô s’attache à développer une activité de transformation intermédiaire des déchets plastiques en broyat, par la suite revendu à des industriels africains ayant pris un engagement éthique vert. Nous souhaitons également développer une activité de valorisation finale où les déchets plastiques seront transformés en un produit fini pour le marché béninois, afin de créer plus d’emplois localement. Enfin, nous avons également mis en place l’Opération 2-en-1, qui est un programme de sensibilisation à la pollution causée par les déchets et de mise en place du tri sélectif dans les écoles primaires publiques.Tout au long de l’année scolaire, les écoliers sont invités à rapporter leurs déchets plastiques à l’école, au sein de locaux aménagés à cet effet. Gbobètô récupère régulièrement les déchets rapportés pour les réinsérer dans des filières de recyclage. L’ensemble des déchets plastiques récupérés par le Comptoir du Plastique est converti en subvention pour des projets socio-éducatifs au bénéfice des écoliers (financement de fournitures scolaires…)

Rim: Merci beaucoup Naomi. Paola, peux-tu nous parler de ton aventure à Gbobètô?

Paola: Je suis auto-entrepreneuse et artiste-auteure en freelance. Je suis allée à Porto Novo en novembre 2020,  afin de faire un reportage photo et de réaliser un court documentaire sur l’association afin d’améliorer la visibilité de ce projet et de lui donner des outils de communication esthétiques et visuels. Avec Naomi, nous nous connaissons car nous étions toutes les deux dans le même master  (GLM) et nous avons donc eu l’idée de collaborer et de créer un partenariat gagnant-gagnant  pour que l’association puisse bénéficier  du contenu créé sur place. J’ai ainsi passé beaucoup de temps auprès des équipes de Gbobètô pour observer ce qu’ils faisaient au quotidien pendant près d’un mois. Je voulais vraiment m’imprégner de la culture locale et du contexte de l’association afin de pouvoir comprendre et représenter au mieux la situation des équipes. J’ai ainsi réalisé un petit documentaire vidéo et une série de  photos. En interviewant les équipes et employés de l’association et en recueillant leurs témoignages, j’ai pu voir que c’était une fierté pour beaucoup d’entre eux d’être employé dans un secteur formel de l’économie au Bénin et qu’ils voient réellement beaucoup de valeur dans les activités qu’ils réalisent au quotidien. 

Dans le court documentaire que j’ai réalisé, qui met en avant les témoignages d’employés, de l’association, ces derniers expliquent que grâce à leur travail, ils ont un salaire décent comparé au niveau de vie local, ils peuvent subvenir aux besoins de leurs familles, et vivre de manière beaucoup plus sécurisée au quotidien. Pour comprendre l’importance de ces témoignages, il est crucial de savoir que dans le contexte où ils travaillent,  90% de l’emploi est informel et les gens gagnent  en moyenne 23 euros par tête (même si officiellement le salaire minimum est censé être de 60 euros). Ainsi, après m’être rendu sur place, je suis plus que jamais convaincue que la problématique des déchets est réellement l’opportunité de créer des emplois verts.  

Rim: Merci Paola. J’en profite pour mettre le lien vers le documentaire que tu as réalisé: https://www.youtube.com/watch?v=TjunM6v9PLY et  pour mettre en avant l’une des photos que tu as prise. 

Rim: Naomi, comment l’association a-t-elle été financée initialement et comment continue-t-elle de grossir? 

Naomi: Nous avons plusieurs partenaires: la Fondation Valorem  et Nicolat Hulot, la Fondation de France, la Fondation Yves Rocher, Génération Climat, la SDGS GN et la Fondation Gratitude.  Mais ces investissements, je les vois comme des coup de pouce au  démarrage, notre but c’est de pouvoir auto-alimenter chaque projet sur le moyen/long terme. 

Rim:  Peux-tu expliquer  ton rôle dans l’association au jour le jour? 

Naomi: Je suis directrice générale. Je me charge de la vision et du développement de l’association. Je m’occupe de l’administratif, de la communication, puis, pour chaque projet j’ai des équipes qui sont encadrées par un chargé de projet qui emploie des personnes de la communauté locale. 

Rim: Avez-vous des projets d’expansion pour l’association? 

Naomi: Nous avons des projets d’expansion au Sud du Bénin sur le moyen-long terme en lien avec le gouvernement béninois: un projet de modernisation de la gestion des déchets au sud du Bénin qui est porté par la société de gestion des déchets et de la salubrité du Grand Nokoué (SDGS-GN). Nous essayons également de valoriser la coopération Nord-Sud et Sud- Sud: nous venons de rejoindre le Conseil des Béninois de France, et nous voulons  pousser la diaspora béninoise diplômée en France à mettre leurs compétences aux services du Bénin. 

Paola: Je tiens également à préciser que Naomi vient d’obtenir le prestigieux premier prix : “Terre de femmes” par la Fondation Yves Rocher à l’occasion de la journée du droit des Femmes.

Naomi: C’est vrai, qu’il y a ainsi eu beaucoup d’attention de la part des  médias qui cherchent à me mettre en scène mais en mettant un peu trop de côté l’équipe , donc c’est important de les mettre en valeur. C’est pour cela que l’exposition photo  de Paola est extrêmement importante puisqu’elle met en lumière les différentes  équipes, les humains qui travaillent tous les jours à Gbobètô. 

Rim: Merci beaucoup à toutes les deux. J’en profite pour mettre le lien de cette exposition photo virtuelle qui vient de commencer:  https://www.framevr.io/paola-gbobeto ainsi que  le lien du site web de l’association: https://gbobeto.org/.

 

Rim Ayouch

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