La restitution des œuvres d’art africain

Prince Kum’a Ndumbe III, universitaire et militant panafricaniste de renommée internationale, met très bien en lumière les enjeux de la restitution des oeuvres d’arts africains en expliquant que « Lorsque vous allez en Allemagne, en France, vous retrouvez l’Afrique qui a été emprisonné quelque part et les africains eux-mêmes n’ont pas accès à ces repères […]. On a vidé l’Afrique de l’Ouest ancienne pour la mettre ailleurs ». Le nombre d’œuvres d’art du continent détenus en Occident se compte en centaines de milliers, alors que seulement quelques milliers d’entre eux sont répertoriés dans les musées du continent noir. 90 000 d’entre eux sont dans les collections publiques françaises, dont 70 000 au musée du Quai Branly. 

Dès le lendemain des indépendances, plusieurs acteurs africains ont régulièrement réclamé la restitution de ces objets mais se sont toujours heurtés à des refus cinglants ou au mur du silence. Ces réclamations exhumaient des services coloniaux encore inavoués à l’époque et restent, à nos jours, un sujet très polémique en France. 

Le 28 novembre 2017, lors d’un discours à l’université de Ouagadougou (Burkina Faso), M. Emmanuel Macron a ravivé la polémique . Il a en effet déclaré vouloir que « d’ici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique ». Dans la foulée de ce discours, le président français a commandé un rapport à Bénédicte Savoy, professeure d’histoire de l’art à l’Université technique de Berlin, et Felwine Sarr, professeur d’économie à l’Université Gaston-Berger au Sénégal. Le résultat de leurs travaux a été publié en novembre 2018 sous le titre Restituer le patrimoine africain

 

La période coloniale: “un moment d’extrême désinhibition en matière d’approvisionnement patrimonial” pour la France

Dans ce rapport, Savoy et Sarr expliquent que la période coloniale a correspondu pour la France “à un moment d’extrême désinhibition en matière d’ « approvisionnement patrimonial dans ses propres colonies, de boulimie d’objets ». Selon eux, les rapports de dominations de l’époque invitent à postuler l’absence de consentement des populations locales lors de l’extraction de ces objets, ce qui signifie que les acquisitions ont, très probablement, été obtenues « par la violence, la ruse ou dans des conditions iniques ». 

La présence de ces biens en Occident s’explique également par des trafics illicites qui perdurent depuis des décennies. Nombreux amateurs d’arts ont profité des crises, guerres ou famines pour s’approprier, via des intermédiaires, des biens culturels ou archéologiques. M. Franck Ogou, directeur de l’Ecole du patrimoine africain (EPA) de Porto Novo (Bénin), déplore cet état de fait « Nous savons à peu près combien de nos objets sont exposés dans les musées français, mais nous ne savons rien de tout ce qui est sorti et continue de sortir avec les antiquaires et les collectionneurs privés. Les frontières sont poreuses et le contrôle est difficile. »

 

Opposition farouche d’une partie des marchands d’arts

Quatre ans après son discours à Ouagadougou, la volonté d’Emmanuel Macron est loin d’une quelconque concrétisation et continue à faire le sujet de débats virulents. Cette volonté de restitution a en effet soulevé l’hostilité d’une grande partie des conservateurs. M. Stéphane Martin, ancien président du Musée du quai Branly, a notamment déclaré que la restitution des œuvres d’art est « un cri de haine contre le concept même de musée ». Les arguments de ces  détracteurs prennent d’ailleurs souvent une tournure condescendante et paternaliste. M. Bernard Dulon, président du Collectif des antiquaires de Saint-Germain-des-Prés, s’est notamment emporté « Ces œuvres d’art qui appartiennent au patrimoine de l’humanité, à qui vont-elles être restituées ? Est-ce que les gouvernements africains ont la même notion que nous de la conservation d’un patrimoine? »

Au-delà de l’inquiétude pour la conservation de ses œuvres, l’enjeu est surtout économique. Héritage du passé colonial, la France est un leader pour les arts premiers avec 66,5% de part de marché, selon Artkhade. La possibilité de restitutions crée de l’incertitude dans ce marché et certains collectionneurs ne souhaitent plus acheter d’œuvres ou en faire don à des musées.

 

Cependant, tout le monde ne fait pas preuve de la même antipathie envers cette volonté de restitution. C’est la cas du galeriste et collectionneur d’art africain, Robert Vallois, qui estime que le rapport Savoy-Sarr est « intéressant à lire attentivement. » Il a notamment créé un collectif de marchands d’art pour financer le nouveau musée de la Récade au Bénin, où sont exposées des œuvres africaines tirées de leurs collections, dont vingt-huit sceptres du XIXe siècle venant de l’ancien royaume d’Abomey, conquis et pillé par les troupes du général français Alfred Dodds en 1892. 

 

Un contexte juridique français défavorable 

Un des principaux obstacles au retour des œuvres d’art africain au continent est le contexte juridique français. En effet, le code du patrimoine français impose de manière non équivoque le principe d’inaliénabilité des collections publiques françaises. En application de ce principe, les objets d’art français ne peuvent être destitués ou ôtés du domaine public. On ne peut ni les vendre, ni les donner. Le législateur français est très peu enclin à modifier ce principe. Une loi permettant des dérogations à ce principe a  cependant été adoptée par le Sénat le 4 novembre 2020 afin de permettre la restitution de vingt-six objets béninois, promis par Macron en 2018 lors de la réception du rapport Savoy-Sarr. Son champ d’application est toutefois strictement limité. Les sénateurs ont en effet donné le ton en optant, dans cette loi, pour le mot « retour » plutôt que « restitution » – qui signifie “rendre quelque chose que l’on possède indûment”. Ils ont exprimé une volonté claire de ne pas ouvrir la boîte de Pandore. 

 

Une situation qui évolue tant bien que mal

Bien que les avancées soient limitées, le sujet de la restitution des œuvres d’art africain évolue quand même tant bien que mal. Le rapport Savoy-Sarr a permis de quantifier l’ampleur du problème et les deux chercheurs ont formulé des solutions pour aller de l’avant. Les chercheurs préconisent la restitution des pièces saisies lors des conquêtes militaires ainsi que celles collectées durant les missions scientifiques ou par des agents de l’administration coloniale. Ils ont également demandé le retour des biens acquis illégalement après 1960 grâce au trafic illicite d’œuvres d’art. Sur les 90.000 œuvres africaines recensées dans des musées français, ils prônent d’en restituer pas moins de 46.000. Ils ont également proposé un changement du code du patrimoine pour faciliter leur retour quand les états africains en feraient la demande. L’avocat français Richard Sédillot, qui a plusieurs fois plaidé des affaires concernant des objets d’art africains pour des clients privés, souligne d’ailleurs que d’autres voies juridiques sont également envisageables. Par exemple, des demandes de restitution au cas par cas ou par voie transactionnelle peuvent être des solutions envisagées. 

Pour le Prince Kum’a Ndumbe III, la restitution de ces œuvres d’art est nécessaire pour que les africains puissent retrouver leurs repères et se souviennent que l’Afrique n’a pas besoin de rentrer dans l’histoire, comme le déclarent certains leaders occidentaux, mais que l’Afrique est l’histoire. L’Afrique étant le berceau de l’humanité, les peuples africains inventaient, innovaient, et se gouvernaient bien avant l’arrivée des européens. Ces œuvres d’arts témoignent de ce fait. 

Rédigé par Remicard SEREME

Sources: 

 

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