L’ancien président a été autorisé à se rendre à nouveau sur le territoire ivoirien au printemps dernier. Acquitté par la Cour Pénale Internationale dans l’affaire des violences post-électorales de 2010-2011, il se fraye à nouveau un chemin au sein du paysage politique.
Après 10 années passées en détention à la Haye, il est revenu en Côte d’Ivoire le 17 juin dernier, accueilli par ses partisans. Laurent Gbagbo, ancien chef d’Etat du pays entre 2000 et 2011, avait été mis en cause pour crime contre l’humanité lors de la crise de 2010-2011 qui avait secoué cet Etat d’Afrique de l’Ouest. Il avait refusé de reconnaître sa défaite contre Alassane Ouattara à la présidentielle. Cette crise avait provoqué la mort d’au moins 3000 personnes et divisé le pays entre pro et anti-Gbagbo, ainsi que le long de l’axe Nord-Sud du territoire. L’homme politique a été définitivement acquitté par la Cour Pénale Internationale en mars 2021. Son retour ne plaît pas au Collectif des Victimes en Côte d’Ivoire (CVCI), qui avait souhaité son arrestation dès son entrée dans le pays. Son président, Issiaka Diaby, évoque les enquêtes encore en cours concernant des possibles implications criminelles de Gbagbo durant la crise de 2010-2011, toujours pas élucidées, notamment concernant des massacres dans les villages d’Anonkoua-Kouté et de Nahibly.
L’actuel président et son ancien adversaire, Alassane Ouattara, l’avait accueilli au palais de la Présidence le 27 juillet dernier. Les deux hommes qui ne s’étaient plus rencontrés depuis un débat précédant le second tour de la présidentielle de novembre 2010, s’étaient serrés la main. Ils ont évoqué le sort de 110 prisonniers politiques de la crise post-électorale, le retour des exilés et la nécessité de l’apaisement des tensions politiques dans le pays. Cet événement que le chef d’Etat voulait symbole de la réconciliation nationale, intervient dans un contexte du renouvellement du troisième mandat d’Alassane Ouattara, critiqué par une partie de la population pour ne pas avoir respecté la Constitution. D’autres rencontres entre les deux hommes sont prévues dans les mois à venir.
Laurent Gbagbo n’est pas revenu uniquement pour mener une retraite paisible à Abidjan. Le 17 octobre 2021, il fonde un nouveau parti, le Parti des peuples africains, après avoir quitté son parti historique, le Front Populaire Ivoirien. Il avait créé ce dernier en 1982 avec son ancienne épouse, Simone Gbagbo, lorsque le pays était encore dirigé par Félix Houphouët-Boigny. Dans un entretien accordé la semaine dernière à France 24, il évoque le projet panafricaniste de son parti, déclarant que « l’Afrique doit s’unir », à l’image d’Etats-Unis d’Afrique. Il ne cache pas non plus ses ambitions politiques jusqu’au plus haut niveau de l’Etat, avec en ligne de mire une participation aux élections présidentielles de 2025 qu’il n’exclut pas. Lors de son discours d’investiture comme président du Parti des peuples africains, il a scandé : « Je ferai de la politique jusqu’à ma mort », ce même s’il explique ne pas vouloir rester à la tête de son parti trop longtemps. Il serait également prêt à soutenir le candidat de son parti si celui-ci avait de réelles chances de gagner pour la prochaine présidentielle. Il s’oppose fermement à ce qui pourrait être son principal obstacle pour cette échéance : une proposition de loi visant à limiter l’âge des candidats, à moins de 75 ans. Laurent Gbagbo en a 75 aujourd’hui. « Je refuse que quelqu’un d’autre décide pour ma vie » déclare-t-il à France 24.
Mais l’ancien président n’est toujours pas sorti des tourments judiciaires. Il est condamné par la justice ivoirienne à 20 ans de prison dans l’affaire des braquages de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest, dite du « casse de la BCEAO ». Accusé d’avoir fait ouvrir les coffres de la banque de cette institution régionale et d’avoir utilisé cet argent durant le conflit de 2011, il réfute cette condamnation. S’il est toujours un homme libre, il n’a pour l’instant pas bénéficié d’une amnistie. Les anti-Gbagbo souhaitent le voir purger cette peine. Cette condamnation l’avait empêché de se présenter aux élections à la présidence en 2020. Si le gouvernement insiste sur le besoin d’une réconciliation nationale dans un pays traversé par de fortes tensions politiques et sociales depuis la fin du parti unique, pas sûr que le retour de Laurent Gbagbo y contribue. En Côte-d’Ivoire, les évènements politiques donnent régulièrement lieu à des violences, comme lors de la présidentielle d’octobre 2020, où une centaine de personnes sont décédées.
par LUNA PEREZ