Les enjeux derrière la sécurité militaire en Afrique

Source photo: France 24, 26/07/2010, article: l’Union Africaine décide de renforcer ses troupes en Somalie

En 2020, au Mali des manifestations populaires secouent Bamako réclamant le départ des militaires français. Sous fond de fake news et d’un sentiment généralisé d’impuissance alimenté par les nombreux revers subis par l’armée malienne dans le Nord du pays, le rejet de la présence française arrive comme un constat amer pour certains Etats africains au vu de leurs objectifs nationaux de défense. En quête d’autonomie au niveau sécuritaire, les gouvernements font face à une exigence croissante des populations face à l’ingérence étrangère. Analogue à la situation malienne, des manifestations au Congo-Kinshasa se sont multipliées pour dénoncer la présence militaire rwandaise à l’Est du Congo. Malgré cette volonté qui se fait de plus en plus pressante, la réussite des opérations de sécurisation dans les Etats africains repose encore bien souvent sur l’interventionnisme ou sur la formation militaire procurée par des puissances étrangères. Ironie du sort, le 11 décembre 2019, une partie des contestataires décriant la présence française au Mali signent et publient sur le site Maliweb une pétition revendiquant une intervention russe remplaçant les forces de l’opération Barkhane, révélatrice du réflexe politique internalisé incitant à recourir à l’aide extérieure pour gérer les affaires internes.

Depuis les années 2000 et le renforcement de l’Union Africaine comme organisme de gestion des affaires continentales, un changement de taille s’opère afin que l’UA s’empare des politiques de maintien de la paix dans la région. Cette autonomisation des questions de sécurité en Afrique s’effectue toujours en association avec l’ONU qui poursuit ses programmes de formation des forces militaires africaines. Dans un même temps, des voies de coopération militaire alternatives s’affirment sur le continent. Des forces russes assistent aujourd’hui le président centrafricain sur le volet sécuritaire et assurent la formation de son appareil militaire national. Par ailleurs, Israël s’impose depuis le début des années 90, comme un allié logistique et technique des gouvernements du continent. Au Cameroun, d’ex-généraux israéliens à la retraite donnent un nouveau souffle à leur carrière à travers la formation de brigades spécialisées dans le pays. Ces nouveaux acteurs opèrent en parallèle de l’action des organismes régionaux et contribuent à modifier la carte des enjeux sécuritaires sur le continent. Il convient dans ce contexte de se demander dans quelle mesure cette mutation institutionnelle de la tenue des opérations militaires en Afrique se soldera par une autonomie plus grande des moyens de défense des Etats africains.

Dans son numéro de cette semaine, le Média la Grande Afrique invite ses lecteurs à se questionner sur l’évolution des enjeux militaires sur le continent. A partir de la semaine prochaine, un article dédié à un enjeu sécuritaire sur le continent sera publié avec un focus particulier.

Les diverses facettes de l’interventionnisme militaire sur le continent

Dans la quête hégémonique de l’Etat pour le contrôle de son territoire, la coopération militaire a été un élément essentiel permettant de former les appareils militaires nationaux et de bénéficier de l’expertise technique et matérielle provenant de l’étranger. En Afrique francophone, cette dépendance des forces armées vis-à-vis de l’ex-puissance coloniale tire ses racines dans les programmes d’assistance militaire technique – dits AMT- signés au moment des indépendances avec les 18 Etats signataires des accords bilatéraux avec la France. Faute d’avoir mené à une consolidation et une autonomie des forces armées, l’interventionnisme s’est parfois soldé par l’intervention directe des militaires français sur le continent. Plus largement la participation étrangère à la sécurité en Afrique s’est imposée comme une pratique récurrente qui a renforcée la relation tant décriée de dépendance vis-à-vis des puissances étrangères. A ce jour, 5 programme onusiens de maintien de la paix sont en cours d’opération sur le continent sur un total de 14 programmes à l’échelle mondiale.

Le continent se caractérise donc par son recours historique aux forces étrangères pour la sécurisation de son espace national depuis les indépendances. En Angola, l’arrivée de 20.000 soldats cubains suite à l’indépendance vis-à-vis du Portugal a permis au MPLA socialiste de Dos Santos, aujourd’hui à la tête d’une majorité au Parlement angolais, de prendre le dessus sur les autres mouvements de libération engagés dans la lutte pour le pouvoir sur le pays. La situation sécuritaire en RDC voisine constitue un exemple saillant des différentes facettes de l’interventionnisme. L’interventionnisme américain, d’une part, reposant sur une peur grinçante quant à la possibilité d’un soutien militaire russe aux Etats récemment indépendants, conduisit le gouvernement Johnson à soutenir le coup d’Etat militaire de Mobutu contre le président Lumumba. D’autre part, le développement de l’influence rwandaise en dehors de ses frontières, suite à la guerre civile qui déplaça l’épicentre du conflit rwandais vers l’Est du Congo, rend compte d’un interventionnisme intra-africain où la sécurisation du territoire national est réalisée avec l’aide d’un Etat tiers. Jusqu’à aujourd’hui, la présence de militaires rwandais de l’autre côté du Lac Kivu est révélatrice des déficiences latentes de certains États africains pour faire face aux défis sécuritaires nationaux.

Les années 2000 ont marqué un tournant dans les modalités d’intervention des puissances étrangères : à l’intervention directe s’est substituée une aide essentiellement matérielle, logistique et informationnelle. A titre indicatif, le Commando américain pour l’Afrique est doté en 2018 d’un budget relativement limité de 238 millions de dollars. Cette présence est à contraster avec l’état d’esprit derrière les précédentes interventions américaines. L’Opération Restore Hope en Somalie avait vu débarquer sur les côtes somaliennes une armée de 20.000 marines dans le cadre d’un mandat onusien. Ainsi, en excluant le cas du conflit pluripartite en Libye et celui de l’opération Barkhane au Mali, les missions de paix de l’ONU composent l’essentiel de la présence extra-africaine dans les missions de sécurités officielles sur le continent. Cette présence a été progressivement substituée par des opérations émanant d’une coopération africaine. La plus importante d’entre elles, l’AMISOM concentre 20,674 troupes conjointes provenant d’Ouganda, du Kenya, d’Ethiopie, de Djibouti et du Burundi pour assurer la sécurité de la Somalie. Ambitieuse, cette mission créée par le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine est révélatrice d’une dynamique de coopération interafricaine accrue dans le domaine militaire, répliquée dans la région du Darfour et reprise par la CEDEAO dans la lutte anti-terroriste au Sahel.

 

Les dépenses de défense : un coût d’entrée extrêmement élevé

En 2019, les dépenses militaires des Etats africains atteignaient une valeur de 41,6 milliards de dollars courant, valeur qui a doublé depuis les années 2000. En moyenne les gouvernements réservent une part de leur budget aux dépenses militaires équivalant à 6,5 % du budget national. Cette part est comparable à la moyenne des dépenses militaires en Asie du Sud-Est, mais indiquent d’autant plus le coût , proportionnellement supérieur pour les économies africaines, des dépenses associées à la défense. Les coûts d’entrée indispensable à l’acquisition de matériels et d’armements pour se doter d’une armée opérationnelle supposent un effort difficilement soutenable de la part des pays africains. C’est dans cette logique que la priorité a été donnée à la formation des troupes nationales permettant d’externaliser les coûts de celle-ci dans le cadre de partenariat gagnant-gagnant.

Les défis sécuritaires importants auxquels font face des pays comme le Nigeria, l’Ethiopie et la RDC sont décuplés dès lors que la stabilité de la région dépend de la pacification de ces territoires. Une brève datée de 2014 publiée par la Banque mondiale plaçait cet argument dans son contexte «L’avenir de la RDC représente l’avenir de l’Afrique ». Au-delà de la symbolique, cet article rend compte de l’interdépendance accrue des enjeux sécuritaires en Afrique qui s’explique par la porosité des frontières et le pouvoir limité de l’État de pénétrer le territoire. Ainsi, l’instabilité générée par le génocide rwandais a plongé la RDC voisine dans une crise dont le pays paie encore les pots cassés ; les insurrections islamistes au Mali et au Nigéria ont rapidement débordé vers le Burkina Faso.

Dans un contexte de Covid de chute drastique des recettes de l’Etat qui pourrait bénéficier, à terme, aux mouvements insurrectionnels, il est légitime de s’intéresser à des approches alternatives de la coopération militaire. Un regard réaliste sur la question doit arriver à la conclusion que la maîtrise du territoire passe par le développement d’une armée, certes, formées et équipées adéquatement, mais également peu chère à entretenir.

 

 

La reprise en main de la question sécuritaire en Afrique : un enjeu économique central

Les nouvelles politiques de maintien de la paix en Afrique sont pensées à travers des forums internationaux au sein desquels les pays nordiques figurent comme d’actifs contributeurs. Les cabinets de recherche associés à ces forums fournissent des études extensives dont les résultats estiment que les nouvelles techniques d’opérations de maintien de la paix au XXIème siècle se développeront en Afrique. Le continent a un passif important de conflits dans les récentes années avec trois grandes zones d’instabilité : la zone sahélienne, les régions frontalières à l’Est du Congo et la corne de l’Afrique où les tensions ont été ravivées en 2020 avec le conflit au Tigrée. Les enjeux sécuritaires sur le continent se maintiendront comme sujet prioritaire dans l’agenda des chefs d’Etats africains pesant sur les dépenses budgétaires, et privant d’autres secteurs essentiels pour atteindre les objectifs économiques et sociaux fixés à l’échelon national.

 Des déclarations de guerre totale, comme celle déclenchée par Ahmed Abyi dans la région tigréenne, ou aux conflits à plus basse intensité tels que ceux qui ont éclatés en Centrafrique ou en Mozambique, nuisent sensiblement à l’activité économique par la destruction d’infrastructures, les restrictions de déplacement, et l’incertitude prégnante. Cela se traduit, entre autres, par une diminution sensible de l’investissement et de l’attractivité commerciale des pays ainsi que de la coopération économique inter-étatique. La CEDEAO a, par exemple, réorienté son mandat, initialement destiné à la coopération économique en Afrique de l’Ouest, vers le volet de la défense à des fins de coordination de la réponse militaire face aux mouvances d’insurrection opérant dans le Sahel.

 

Dans les prochains articles de cette série, nous vous proposons d’entrer dans le détail des défis sécuritaires sur le continent. La formalisation des interventions extérieures a conduit les États africains à faire appel à d’autres types d’acteurs. Le recours à des mercenaires et la paramilitarisation des conflits est un phénomène réel visible au Nigéria, en Centrafrique, ou en RDC. Des intérêts géopolitiques s’insèrent dans ces logiques militaires, modifiant les enjeux sur le continent. Il s’agit dans les prochains épisodes d’en analyser les causes et les objectifs : dans quelle mesure les armées africaines ont-elles gagné en autonomie ?

 

  • Loregerie, Paul. “Au Mali, le sentiment anti-français gagne du terrain”. 2020. Disponible sur: https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/01/10/au-mali-le-sentiment-anti-francais-gagne-du-terrain_6025466_3212.html
  • Coulomb, Fanny. « La production de défense dans les pays émergents : vers un renouveau? », Géoéconomie, vol. 57, no. 2, 2011, pp. 71-82.
  • Evrard, Camille. « Retour sur la construction des relations militaires franco-africaines », Relations internationales, vol. 165, no. 1, 2016, pp. 23-42. 
  • Hickendorff, Acko, THE EUROPEAN UNIONTRAINING MISSION INTHE CENTRAL AFRICANREPUBLIC: AN ASSESSMENT, SIPRI Background Paper, February 2018.

Article par Santiago Haffner

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