Par Kheena Andriamanantena
Le couperet est tombé. Après une attente insoutenable, sur fond de contestations – tendant à devenir aujourd’hui un incontournable de l’après-scrutin dans les démocraties en péril – ayant exacerbé les crispations, la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) a rendu Samedi 17 Novembre 2018 les résultats provisoires du premier tour des élections présidentielles malgaches.
“Ny tonta ihany no avadibadika”
C’est en effet sans grande surprise que l’ancien président de la Transition, Andry Rajoelina est arrivé en tête avec 39,19% des suffrages, talonné par Marc Ravalomanana qui, pour sa part, a recueilli 35,29% des voix. Résultats permettant ainsi d’ores et déjà d’envisager la tenue d’un second tour pour le 19 Décembre prochain, après validation par la Haute Cour Constitutionnelle.
Tout ceci avec pourtant un taux de participation à hauteur de seulement 54,32%. Un chiffre largement éloigné de celui qu’avait enregistré le premier tour de 2013, où 61,52% des électeurs ont participé au vote. Cette baisse semble s’inscrire dans une tendance continuelle que l’on pourrait resituer à 1992, où la grande île avait atteint l’un de ses plus hauts taux de participation, avec 74% de votants parmi les électeurs ; période à partir de laquelle il n’a presque plus jamais connu de hausse.
Plusieurs politistes et observateurs de la vie politique malgache s’accordent sur ce sujet à pointer du doigt le désintérêt, voire la lassitude qu’éprouve la population envers la classe politique malgache qui peine à se renouveler, même depuis les débuts d’un semblant de multipartisme dans le pays. On assiste aujourd’hui à une perpétuation de l’ancienne classe issue des partis historiques comme le PADESM, le PSD, l’AKFM ou encore l’AREMA, qui ont tous déjà marqué la scène politique malgache. Sinon, quand les circonstances y sont favorables, et comme les Malgaches sont réputés pour le rafistolage, certaines alliances – aussi politiquement contre-nature qu’elles soient – ont souvent lieu. Cependant, les pratiques et le personnel politique ne changent pas. Et même si les deux candidats du second tour étaient, respectivement et chacun à leur période d’entrée en politique, vus comme des porteurs d’un nouvel air dans le paysage politique malgache ; ces anciennes classes ont toujours réussi à infiltrer les cercles d’influence des régimes en place, à travers la collusion des intérêts politiques, économiques et même familiaux, forçant à un moment ou un autre le rapprochement.
En passant d’ailleurs en revue le passif des 34 autres candidats au premier tour, l’on s’aperçoit que seule une petite poignée s’est frottée seulement maintenant, pour la première fois, de si près au terrain politique. Beaucoup sont déjà familiers des instances étatiques et de l’exercice des responsabilités. On compte parmi eux des anciens Premiers ministres, d’anciens ministres, chefs d’Institutions et même d’anciens Présidents, dont le Président sortant, Hery Rajaonarimampianina, arrivé en troisième position avec tout juste 8,84% des suffrages exprimés. Ce dernier s’était, rappelons-le, présenté comme « Hery vaovao », donc force nouvelle, aux élections de 2013, alors qu’il fut déjà ministre des finances et budget sous Andry Rajoelina. Même chose pour les deux candidats qualifiés au second tour qui prétendent vouloir redonner un nouvel élan au pays, mais qui restent attachés aux mêmes idées et approches de la politique. Le duel Andry Rajoelina – Marc Ravalomanana lui-même n’est pas une grande nouveauté. Preuve qu’à Madagascar, on ne cherche pas forcément à faire du neuf avec du neuf. Comme le dit l’adage malgache, l’on ne fait que remuer ce qui est usé.
Tout cela montre ainsi le terrible manque de renouveau dans la composition politique du pays, avec les « bonnes vieilles méthodes » qui vont avec.
Toujours à la recherche d’un bouc émissaire
Évidemment ravis de leur passage au second tour, à l’exception de l’ancien Président Rajaonarimampianina, les trois grands candidats sont pourtant insatisfaits des performances qu’on leur a attribuées. Après avoir durement accusé l’administration électorale de fraude et de corruption, et donc de favoriser les malversations dans le traitement des résultats, ils semblent tous décidés à procéder à une contestation en justice des résultats officiels. Le candidat Andry Rajoelina souhaite même effectuer un audit sur le logiciel dont se sert la CENI pour le traitement des résultats. Tous se réclament vainqueurs du premier tour. Connaissaient-ils donc les résultats avant l’heure ?
En tout cas, le fait est que si aucun d’entre eux n’est bien sûr responsable de leur propre insatisfaction, il fallait qu’il y en ait un. Le choix s’est porté sur la CENI qui, à plus forte raison pour ces trois candidats, a beaucoup tardé dans le traitement des résultats provisoires, ayant ainsi laissé se créer une brèche dans laquelle toutes sortes de controverses et polémiques d’irrégularités se sont engouffrées.
Or, certaines dispositions du code électoral malgache stipulent clairement l’interdiction de remettre en cause ou d’exercer une quelconque pression sur les autorités et Institutions chargées de l’organisation des élections, sous peine de disqualification. (Art. 128 section 2 de la loi organique relative au régime général des élections et des référendums.) Risques que ces candidats en question étaient peut-être donc prêts à encourir.
En route pour le second tour ou pour un aller-retour…
Ayant déjà accaparé une grande partie du débat public à Madagascar pendant presque dix ans, ces deux candidats du second tour ne suscitent plus autant d’engouement qu’avant. L’on pourra néanmoins s’attendre à ce que cette dernière ligne droite soit la séquence de tous les possibles, comme l’apparition des différents marchandages de voix et ralliements politiques en vue sans doute d’un éventuel partage de portefeuilles ou recasage. Certains candidats, à l’instar de Saraha Rabeharisoa, candidate malheureuse aux présidentielles de 2013, ont déjà manifesté leur soutien à leurs favoris respectifs pour cette seconde manche. Pour sa part, elle a, une semaine avant même le premier tour, donné ses consignes de vote et annoncé son ralliement à Andry Rajoelina. Confortant ainsi l’idée que cette élection ne déroge donc pas à la loi de Duverger, en dépit de son caractère uninominal à deux tours, selon laquelle les situations électorales résultant du premier tour tendent souvent à reconfigurer le paysage politique vers un système bipartite, notamment par le biais des diverses alliances et ententes. Autant de pratiques faisant tout l’artifice et le cocasse de la théâtrocratie qu’est le jeu des rapports de forces en politique.
De plus, bien qu’il soit fort probable que cette élection n’apporte rien dans le renouvellement de la classe politique malgache, elle aura néanmoins le mérite de permettre le maintien d’une certaine stabilité et continuité démocratique. Il pourrait en effet s’agir, dans les faits, et si l’on remonte dans l’histoire politique de Madagascar, de la première élection présidentielle pouvant permettre de passer d’un mandat présidentiel démocratiquement établi à un autre, depuis celle de 1993, ayant vu la victoire de feu Albert Zafy face à Didier Ratsiraka déjà réélu en 1989. En clair, une transition sans crise inter-quinquennale ou post-électorale. Excluant ainsi le cas 2002 avec la victoire au premier tour très controversée de Marc Ravalomanana.
Ceci étant, malgré le fait qu’à Madagascar, l’on ne semble pas vraiment faire du neuf avec du neuf, voter apparaît aujourd’hui comme étant le seul moyen de rafistoler la démocratie malgache, en mal d’assise et de régularité.
Stéréotypée et trop politiquement correct un peu comme analyse. Même si je salue fortement le travail de références… on a l’impression de pouvoir coller tous les arguments édictés pour décrire l’élection malgache à un contexte franco-français…
La classe politique peine à se renouveler? Oui ok, mais c’est le pourquoi qui nous intéresse. Parce-que quand on connaît un peu le terrain, on sait que ceux qui s’opposent de façon trop nets et refusent de collaborer sont vite menacés et intimidés. Donnez nous à voir le terrain quand vous parler de corruption, on veut avoir les exemples concrets sinon c’est flou et ça empêche de mesurer la gravité d’une situation qu’on simplifie en évoquant jamais le factuel, ou ça donne l’impression de suppositions non justifiées. En tout cas, bon travail descriptif.
Merci Céleste pour ta critique.
En effet, je n’ai pas pris trop de risque sur cet article car je ne tenais justement pas à me livrer dans de pures affirmations gratuites. Les faits sont nombreux (en connaissance du terrain comme vous dites), mais ce sont les sources pour les soutenir qui manquent. Et je ne suis pour ma part, en tant qu’auteur, pas journaliste d’investigation. Mais croyez-bien que je comprends cette attente.
Même les auteurs du fameux «Madagascar: Énigme et paradoxe » (François Roubaud & Mireille Razafindrakoto), qui ont mené sans doute l’une des études les plus poussées sur ce non renouvellement de la classe politique malgache et le verrouillage du pouvoir par les mêmes élites politiques depuis des années, n’ont pu évoquer le moindre fait concret (en tout cas les réalités sous-jacentes) sur le pourquoi et le comment de ce phénomène. Le seul concret dont on peut se servir, c’est ce qu’on voit. Pour faire simple, toujours les mêmes têtes dans les sphères décisionnelles.
Sinon, je peux également vous renvoyer vers une référence plus scientifique aussi, qui explique cette conception du pouvoir comme si c’était un bien à préserver et à protéger de tout autre prétendant, hors du cercle des élites politiques. Une pratique courante dans les pays d’Afrique, que Jean-François Bayart, dans son ouvrage “L’État en Afrique”, appelle le “néopratrimonialisme”.