Ce que la série Self Made ne vous dit pas

Par Maïlys D.

 

Un destin au défi

Sarah Breedlove plus connue sous le nom de Madam C.J. Walker est l’héroïne de la mini- série Self Made proposée par Netflix depuis le 20 mars 2020. 

Née en 1867 en Louisiane et décédée en 1919 d’une crise cardiaque à l’âge de 51 ans , Sarah Breedlove, femme d’affaires afro- américaine serait la première américaine à devenir millionnaire par elle- même. Elle entre d’ailleurs dans le Guinness World Records en tant que: “ première femme à détenir une fortune personnelle de plus d’un million de dollars à la date de son décès”.

L’histoire de cette Self Made n’est pourtant pas linéaire. Née de parents esclaves, elle est le premier enfant d’une famille qui en compte six à naître libre en raison de la proclamation de l’abolition de l’esclavage le 1er janvier 1863. A l’âge de 10 ans elle est orpheline, son père ayant succombé trois ans après sa mère. Pour subvenir à ses besoins, elle devient servante domestique dans le Mississippi et se marie à 14 ans à peine avec un ouvrier. 

Sa vie prend un tournant au décès de ce dernier, ce qui la force à s’établir dans le Missouri en tant que blanchisseuse afin de subvenir aux besoins de leur fille. Pourtant, son travail ne rapporte que très peu étant payée environ 1 dollar par jour.  Là- bas, elle fait face aux problèmes notoires que connaît la communauté afro- américaine à cette époque: le manque d’ accès à la plomberie intérieure et à l’électricité, mais aussi l’utilisation de produits à bas coût nocifs pour les cheveux et les vêtements (qui la conduisent à souffrir comme beaucoup d’autres de troubles cutanés et d’affection du cuir chevelu).

Après avoir été blanchisseuse, Sarah Breedlove se met au service d’ Addie Munroe, une entrepreneuse afro- américaine métisse qui deviendra plus tard sa principale concurrente dans l’industrie des soins capillaires. Le métissage de Madame Munroe aura d’ailleurs toute son importance dans l’histoire qui nous est contée.

Forte de son expérience auprès de cette entrepreneuse et consciente des difficultés auxquelles continuent de faire face les femmes noires,  Madam C.J. Walker se met à développer sa propre gamme de soins pour cheveux.

 

Les points intéressants de la série

La série Self Made est une série surprenante bien que ce ne soit pas la première fois que des réalisations évoquent l’épopée du cheveux crépu ou bouclé. En effet, le cheveux se révèle avoir tout autant d’importance que le personnage principal. Par ailleurs, la série revêt un fort aspect sociologique en mettant en lumière le rapport complexe que la femme noire ou métisse entretient avec ses cheveux non- conformes aux standards de beauté occidentaux. Dans cette optique, la Self made n’hésitera pas à résumer cette tension de la manière suivante: “ vos cheveux sont synonymes  de servitude ou de liberté à vous de choisir”. 

Cette série est novatrice car elle met à l’honneur l’entrepreneuriat féminin et plus encore l’entrepreneuriat noir: celui d’une communauté précaire qui n’est que récemment sortie de son état d’asservissement. L’ ascension de Madam Walker exacerbe par la même occasion les tensions intra-communautaires: celles entre les sexes et celles entre femmes au teint clair et femmes au teint plus foncé.  Tandis que les hommes ont  peur de perdre en crédibilité si leurs femmes venaient à investir l’espace public, les rivalités liées à la carnation, elles, structurent les rapports entre femmes. Celles-ci renvoient indéniablement à la mentalité coloriste qui veut qu’être clair de peau avantage la progression dans la hiérarchie sociale. Ainsi, la principale adversaire de la Self made, une femme métisse,  ira même jusqu’à affirmer que ses clientes (majoritairement noires) achèteraient ses produits pour s’identifier à la femme claire aux longs cheveux qu’elle est sans aucune chance pourtant de le devenir elles-mêmes. 

 

Une vive critique de la série

Dans une vidéo Youtube du 21 avril 2020, la chaîne Grandeurnoire  s’est prêtée à une analyse de la série Self made en s’appuyant sur de nombreuses sources qu’elle ne manque pas de mentionner. 

Le but de la vidéo étant comme décrit, destiné à éclairer sur certains faits de la série et à questionner certains choix de la réalisatrice Shira Geffen.  Pour rendre l’analyse la plus limpide possible, il conviendra d’énumérer les principaux points, dans les termes dans lesquels ils ont été formulés. 

1. Madam C.J. Walker n’est pas la première millionnaire autodidacte des Etats- Unis. Une autre femme l’a devancée dans le même domaine, il s’ agit de Annie Turnbo Malone (1869-1957). Elle naît après  l’ abolition de l’esclavage, a eu l’opportunité d’aller à l’ école et s’est révélée extrêmement douée en chimie. Dû à une santé fragile, elle est obligée d’ arrêter au milieu du collège et se tourne vers sa passion:  coiffer les cheveux. Est- ce parce que Annie Turbo a démarré de moins loin et a eu l’opportunité d’aller à l’ école  tandis que Madam C.J Walker travaillait dans les champs de coton que son mythe n’a pas eu l’occasion de voir le jour? 

2. La série a détourné le personnage d’Annie Turnbo ( Addie Munroe la concurrente métisse dans la série)en en faisant une femme vicieuse  et hargneuse. Annie Turno aurait offert les secrets de sa réussite à Madam C.J. Walker et c’est de là que cette dernière aurait obtenu un résultat satisfaisant.

 

 

3. De son vivant, Madam Walker n’a jamais été millionnaire. Elle avait une fortune qui s’élevait à 600 000 dollars et n’a passé la barre du million qu’après son décès en 1919.

4. La réalisatrice Shira Geffen aurait pu avoir recours à un autre moyen scénaristique pour aborder le problème du colorisme. En effet, elle a fait passer Annie Turnbo pour ce qu’elle n’a jamais été: une métisse et une femme qui persécute une consoeur.

5. Shira Geffen a insisté sur les conflits stéréotypés  entre l’homme et la femme noire. La réalisatrice a inséré une scène dans laquelle Booker T. Washington se plaignait de l’intervention de la Self made dans une assemblée d’hommes. Pourtant, il en serait tout autre car ce dernier aurait été agréablement surpris par son audace.

 

C’est donc en gardant un esprit critique que la série doit être regardée. L’ Histoire étant ce qu’elle est, le récit de la vie de Madam Walker ne sera jamais univoque mais il n’en reste pas moins qu’elle est une femme qui aura réussi.

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