L’entrepreneuriat made in Africa

 

 

 

 

 

 

 

 

 

D’ici 2035, le continent africain connaîtra la plus forte croissance de la population en âge de travailler dans le monde. L’Afrique est un continent où vivent aujourd’hui environ 420 millions de jeunes de 15 à 35 ans. Selon les analystes de la Banque africaine de développement (BAfD), plus de 10 millions d’entre eux arrivent chaque année sur le marché du travail. Cette forte croissance de la force de travail présente à la fois opportunités et défis pour les pays africains. Elle est leur plus grand atout car moteur d’une croissance économique potentielle forte et durable. Cependant, afin d’être en mesure de l’exploiter, les gouvernements africains doivent relever d ‘immenses défis notamment en matière de création d’emplois. 

Pour relever ce défi, pouvoirs publics et investisseurs misent sur la création d’entreprises. Toutefois, l’entrepreneuriat sur le continent se transforme souvent en parcours du combattant pour les jeunes qui décident de se lancer dans l’aventure.  

 

L’entrepreneuriat en Afrique, un vrai parcours du combattant

Les jeunes qui décident d’entreprendre doivent souvent surmonter de nombreux obstacles. Le premier est la résistance de leur entourage. En effet, l’entrepreneuriat n’est pas plébiscitée dans les cultures africaines. La réaction de l’entourage face au projet d’entreprise est généralement de rappeler à la personne qu’il est très risqué de laisser un poste dans une entreprise pour se lancer dans l’entrepreneuriat. Quant aux jeunes qui commencent leur carrière après les études, on leur suggère plutôt de chercher du travail. Jusqu’à très récemment, l’entrepreneuriat était perçu comme une activité secondaire à un emploi principal (en Afrique francophone particulièrement). L’encouragement et la motivation au démarrage d’une entreprise font malheureusement souvent défaut alors que ce sont des facteurs essentiels dans le potentiel de réussite du projet. 

Le second obstacle est l’environnement des affaires lui-même. Les économies africaines ne sont pas forcément adaptées aux petites entreprises, comme nous l’explique Kevin, un jeune entrepreneur togolais: “La fiscalité des Etats n’est pas adaptée au micro-entrepreneuriat. C’est leur rôle de s’adapter et de mettre en place un cadre juridique et fiscal pour favoriser le développement des petites entreprises.” 

Les conséquences de cette inadaptation se font notamment ressentir au niveau du financement des projets d’entreprises. Cela représente, en effet, un obstacle majeur pour les jeunes entrepreneur.e.s. Le financement public est très limité. Les porteurs de projet ne remplissent  que très rarement les critères d’éligibilité des banques. Les fonds d’investissement ont quant à eux des tickets d’entrée trop élevés  tandis que les institutions de microfinance proposent des ressources de financement très faibles à des taux d’intérêt prohibitifs. Dans un tel environnement, les jeunes entrepreneur.e.s sont trop souvent livrés à eux-mêmes et doivent compter sur leurs propres ressources qui sont hélas insuffisantes.

A ces obstacles il faut ajouter qu’une grande partie des jeunes se lancent dans l’aventure entrepreneuriale par souci de survie plutôt que par vocation car ils n’ont pas de perspective d’emploi après leurs études. Cet entrepreneuriat par nécessité porte majoritairement sur des activités de survie et de débrouillardise, à faible valeur ajoutée et souvent dans l’informel. Entreprendre est pour eux une période de transition en attendant de trouver un job dans une entreprise ou d’être nommé dans l’administration. Monsieur Stanislas Zézé, entrepreneur aguerri et PDG de Bloomfield Investment Corporation, société de notation financière ivoirienne, est d’avis que la probabilité de réussir pour ces entrepreneurs est quasi nulle car “En étant dans cet état d’esprit, il est clair que l’apprenti entrepreneur ne fera pas preuve d’abnégation, de sérieux, de résistance et de courage, dans l’aventure de construction du projet d’entreprise. Alors que ces valeurs sont essentielles pour espérer pouvoir réussir dans l’entrepreneuriat.” 

Ces difficultés sont d’autant plus exacerbées pour les femmes entrepreneures qui représentent pourtant 58% des travailleurs à leur compte sur le continent. Un rapport de la Banque mondiale, datant de 2020, montre qu’en Afrique subsaharienne, les femmes entrepreneures continuent de réaliser en moyenne des bénéfices 34% inférieurs à ceux des hommes. Cet écart est notamment dû à une ségrégation sectorielle comme ont pu le démontrer des études réalisées en Ethiopie et en Ouganda. Par exemple, dans ce dernier, le bénéfice mensuel moyen dans le secteur de l’esthétique, où les femmes sont majoritaires, est de seulement 86 dollars contre 371 dollars dans le secteur de l’électricité, à forte domination masculine. 

Nous l’aurons compris, il y a de nombreux axes d’amélioration sur lesquels les pays doivent travailler avant que l’entrepreneuriat puisse réellement devenir un vecteur de croissance pour les économies africaines. Toutefois, l’entrepreneuriat à un réel potentiel une fois que ces obstacles seront adressés.

Le potentiel de l’entrepreneuriat pour les économies africaines

L’entrepreneuriat peut bien évidemment devenir un véritable levier de croissance pour l’Afrique. La population africaine est très jeune et a un immense potentiel. Donner aux jeunes les moyens d’entreprendre est un bon moyen pour réduire leur taux de chômage et augmenter leur taux d’employabilité. 

L’Afrique est d’ailleurs déjà la championne toutes catégories de l’entrepreneuriat à l’échelle planétaire. Par exemple, l’Ouganda est en tête du classement mondial des pays les plus entreprenants avec 28.1% de la population active y ayant lancé une entreprise (étude du cabinet de conseil Will & Brothers). Toutefois, en raison des nombreux obstacles existants, ces petites entreprises ne font souvent pas long feu. Jacques Leroueil, spécialiste financier basé à Kigali, observe: “Lancer son affaire ne suffit pas, encore faut-il la pérenniser. Et à ce titre, l’Afrique détient la palme des cessations d’activité, avec un taux de 12.7% en moyenne contre 6.8% en Europe, 9.6% en Amérique latine et 12% en Amérique du Nord.”

Selon Kevin Lawson, jeune entrepreneur togolais, libérer le potentiel de l’entrepreneuriat ne pourra passer que par l’éducation et la formation continue des jeunes sur la gestion d’entreprise, ainsi leur permettant d’avoir les outils nécessaires pour que leurs projets prospèrent. Il faut également améliorer l’accès aux financements et leur inculquer une meilleure connaissance de l’environnement fiscal de leur pays. Il déplore que l’entrepreneuriat soit devenu un slogan de campagne politique avec des fausses promesses faites aux jeunes, avec des pouvoirs publics ne mettant pas en place les mesures adéquates. 

Cette envie d’entreprendre sur le continent ne se limite d’ailleurs pas aux jeunes qumais touche également les afro-descendants et les enfants issus de l’immigration. Nous sommes allés à la rencontre de Philippe et Nicolas, deux cousins Franco-Burkinabés qui souhaitent se lancer dans l’aventure entrepreneuriale en montant une entreprise à Abidjan, en Côte d’ivoire. 

Nicolas nous explique: “Aujourd’hui, il y a un certain mépris envers tout ce qui est africain. C’est un continent qui n’est jamais mis en avant positivement. Il n’y a pas de promotion de la culture ou du savoir-faire africain. Je veux changer cette narration de l’Afrique miséreuse. C’est un juste retour des choses que les filles et fils d’immigrants retournent sur le continent pour entreprendre, innover, aider et démystifier l’idée que l’occident sait mieux faire. Il y a plus de moyens en Europe mais certainement pas plus de talents.

Philippe, quant à lui, affirme une volonté de “prendre ce qui est bon en occident et faire mieux.” 

Ces deux cousins veulent faire partie de la croissance économique du continent, l’accompagner et la pousser. Pour eux, entreprendre est une façon de revenir aux sources et de rendre à l’Afrique son dû. 

Par Remicard Sereme

Sources: 

 

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