Ouaga Girls : un portrait réaliste d’apprenties mécaniciennes au Burkina Faso

 

Par Ayrton Aubry.

Sorti en salle en mars 2018 en France, le documentaire Ouaga Girls avait obtenu un petit succès à Paris, et eu une diffusion dans plusieurs salles de cinéma, un mois durant. Il était de nouveau projeté à l’occasion du festival Baatou Africa du documentaire africain, entre le 7 et le 10 juin 2018 au cinéma le Reflet Médicis. Il reste malheureusement difficilement accessible depuis lors.

Premier long-métrage documentaire de la réalisatrice Theresa Traoré Dahlberg, Ouaga Girls suit une classe de femmes dans leur dernière année de formation de mécaniciennes au centre féminin d’initiation et d’apprentissage aux métiers (CFIAM). L’objet du documentaire est de montrer les pratiques féminines d’un métier habituellement exercé par des hommes, au Burkina Faso.

Plusieurs aspects de l’année scolaire sont représentés, entre les cours théoriques d’économie, d’histoire, d’éducation civique, les séances pratiques sur les voitures à réparer…Les étudiantes sont aussi filmées dans leurs interventions sur le terrain, lorsque des clients appellent leur école pour venir réparer la carrosserie d’une voiture. D’autres instants de vie sont aussi représentés, lorsque les femmes rentrent chez elles le soir, arrivent à l’usine en vélo, ou sortent danser entre elles dans la semaine. Ces images, comme l’enregistrement d’une musique chantée par une élève dans un studio, font des élèves des femmes ordinaires, et non des héroïnes.

La caméra suit l’une d’elle lors d’un entretien pour un stage de fin d’étude, où l’on rencontre une ancienne élève. Cette dernière raconte les difficultés d’être « une femme dans un métier d’homme », notamment pour ce qui concerne l’avancement professionnel. D’autres obstacles sont représentés, comme cette élève qui tombe enceinte quelques mois avant la fin de l’année, ou une autre qui veut arrêter la formation pour devenir secrétaire.

Theresa Traoré Dahlberg filme de manière touchante les élèves dans leurs pauses, leurs cours, leurs discussions au sein du centre de formation, et les événements qu’elles organisent en dehors. La réalisatrice les replace dans un contexte politique de manière subtile et intéressante, d’abord par une mention du programme de Thomas Sankara dans l’un des cours (Sankara avait mis en place de larges programmes de promotions de la femme au Burkina Faso), ensuite par l’apparition d’affiches électorales, enfin par la mention de la récente chute de Blaise Compaore à la radio.

Même si cet aspect a été critiqué par la presse, nous soulignons la qualité de certaines images du film documentaire, qui lui donnent une certaine poésie. La scène où deux étudiantes partent nettoyer une carrosserie de voiture et reviennent à l’arrière d’un pick-up, tournée au ralenti et dans une lumière éblouissante marque par exemple profondément le spectateur. En plus de donner une qualité artistique au documentaire, ce parti pris va dans le sens du propos du film, et donne une image valorisante du groupe de femmes futures mécaniciennes suivi dans le récit. La dernière scène, qui suit la cérémonie de diplomation, fait ainsi presque penser à un feel-good movie. Certains choix de mise en scène sont aussi lourds de sens, comme lorsque les filles sortent danser, et s’attablent au pied d’un mur où sont représentées des femmes dénudées, ce qui représente le décalage entre leur apprentissage et leur condition de femme.

Ouaga Girls affirme vouloir aller à l’encontre des clichés, en montrant des femmes devenant mécaniciennes. C’est ici que selon nous une des faiblesses du documentaires apparaît : les élèves sont systématiquement (à une exception près, au début du documentaire) présentées en train de laver ou repeindre les carrosseries, ce qui est l’activité la moins « virile » du métier de mécanicien. Les autres travaux, comme le remplacement d’un moteur, ou le travail sur la taule, s’ils sont évoqués, ne sont jamais montrés. En ce sens, le document ne va pas aussi loin qu’il aurait pu dans la déconstruction des clichés.

Ce qui constitue à nos yeux le fait le plus marquant du documentaire, et son point positif dans le message qu’il cherche à passer (les femmes sont tout à fait capables de faire un métier de mécanicienne), et qu’il dépeint ses sujets comme des femmes ordinaires, et non comme des héroïnes. Dans la dernière année de leur formation, les étudiantes sont en proie au doute, certaines veulent arrêter par crainte de ne pas être acceptées par leur mari, d’autres du fait du manque d’opportunités professionnelles pour une femme. Pourtant elles continuent, en se supportant mutuellement. C’est en effet bien parce qu’elles ne sont pas seules, et qu’elles sont déterminées, qu’elles obtiennent finalement toutes leur diplôme.

C’est ce qui peut expliquer les scènes chez la psychologue, où les élèves expriment leurs difficultés dans la vie quotidienne et vis-à-vis du futur qu’elles envisagent, avec ou sans le métier de mécanicienne. Aussi, les étudiantes sont montrées en train de s’ennuyer lors de leurs cours théoriques, ce qui traduit bien la volonté de la réalisatrice de ne pas en faire des héroïnes, mais des jeunes burkinabées ordinaires, avec leurs faiblesses.

On ressort ragaillardi du visionnage de Ouaga Girls, en s’interrogeant si depuis 2014-2015 (l’année du tournage), les élèves ont pu trouver du travail, ou ouvrir leur propre garage, pour « avoir des hommes qui travaillent pour elles », comme l’explique une des protagonistes du film. C’est aussi une autre image de l’Afrique de l’Ouest qui est présentée loin des clichés habituels du patriarcat (représenté ici, mais pas en tant que cadre interprétatif de la société burkinabée) ou de la pauvreté.

NB : le visionnage de ce film a été possible grâce au pass Cinewax, qui offre des réductions toute l’année sur les films africains diffusés à Paris, ainsi que dans beaucoup de boutiques au sein de la capitale. Plus d’informations ici.

 

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