Alassane joue la troisième mi-temps

20 ans après les élections présidentielles de 2000 qui ont annoncé la période la plus trouble de l’histoire contemporaine ivoirienne, la course à la présidence de la Côte d’Ivoire voit s’opposer les mêmes chevaux de courses. Bédié, Gbagbo et Ouattara ont inventé leur propre Saint Valentin, elle a lieu le 31 octobre, et il faut dire qu’ils ne ratent jamais le rendez-vous. Comme à chaque épisode, la réunion a été troublée par des violences menaçant le fragile consensus démocratique obtenu suite à la crise post-électorale de 2010. Alors que ce scrutin était censé être le symbole du dépassement de la crise, qui avait plongé depuis les années 2000 la démocratie ivoirienne dans une profonde instabilité, ce dernier a finalement exacerbé les tensions existantes dans le pays. 

C’était pourtant bien parti, Ouattara ayant annoncé ne pas se représenter aux élections de 2020, le RHDP, parti de la majorité, présentait pour la première fois un nouveau candidat présidentiable, Amadou Gon Coulibaly. Sa relation étroite avec Ouattara faisait planer des doutes quant à l’emprise de l’ancien président sur le nouveau poulain du RHDP. Néanmoins, symboliquement, la candidature de Gon Coulibaly offrait l’opportunité d’affirmer l’engagement de la Côte d’Ivoire envers la démocratie. Malheureusement, suite à la mort subite de son dauphin, ADO s’est vu « contraint » pour le « bien-être et la prospérité de la Côte d’Ivoire » de revenir sur sa décision et de se présenter à un troisième mandat. Plus d’un mois après les élections quelles leçons retenir de ce scrutin pour l’avenir du pays ?

 

Des élections irrégulières ignorées par la communauté internationale

Si le commun des mortels avait la surprise de se réveiller de bon matin pour être désigné comme observateur neutre du “scrutin démocratique” en Côte d’Ivoire, les irrégularités et méthodes douteuses utilisées par le pouvoir en place lui ferait froncer les sourcils. En amont de l’élection, les leaders de la société civile et des membres de l’opposition étaient montés au créneau pour dénoncer les lacunes des listes électorales. Sur treize (13) millions de personnes en âge de voter, seuls 7,5 millions de votants y voyaient leurs noms inscrits, laissant plus de 5 millions d’ivoiriens sans voix.  À cela, suit le problème majeur présenté par la composition de la Commission Électorale Indépendante détentrice du pouvoir de valider ou d’invalider les résultats d’une élection. La réforme de la Commission, votée en 2019, attribuait à des représentants de la société civile six (6) des quinze  (15) postes composant le collège de la Commission. Cette réforme, vantée par Ouattara comme la preuve de son engagement démocratique, n’a cependant pas fait taire les critiques quant à la connivence de ses membres avec le pouvoir en place. Cette critique a fait l’objet d’un arrêt par la Cour africaine des droits de l’homme, demandant une reconstitution de la Commission sur des critères d’impartialité. Selon les experts en droit constitutionnel, l’exécutif garde toujours un pouvoir de nomination prépondérant sur ses membres. D’un revers de main, ADO a balayé ces critiques pointant du doigt la mauvaise foi de l’opposition vis-à-vis de sa réforme de 2019 et justifiant l’omission de près de la moitié de l’électorat ivoirien par la difficulté logistique du recensement. 

Cependant l’irrégularité la plus flagrante de cette élection se reflète dans la volonté délibérée du pouvoir en place de faire taire et décrédibiliser l’opposition. Parmi les 44 candidats ayant présenté leurs candidatures, la CEI n’en a validé que 4. Parmi les 40 opposants dont la candidature a été refusée, figurent des personnages politiques d’envergure tels que Guillaume Soro, Mamadou Coulibaly, ou encore l’emblématique Laurent Gbagbo. L’arrestation et la contrainte à l’exil de Guillaume Soro sur des bases légales douteuses, montrent la vraie face anti-démocratique du président Ouattara. 

Du côté de la Communauté Internationale, le silence est d’ordre. Le rapport de l’ONU, sorti quelques semaines après les élections, « exhorte à un dialogue constructif », validant tacitement aux yeux de tous le régime Ouattara.

 

Une opposition profondément divisée

Le jeu trouble d’Ado a été d’autant plus facile à mettre en place que l’émiettement de l’opposition lui a laissé le champ libre pour déployer sa stratégie. La partie s’annonçait rude pour le RHDP, parti du président, lorsque, face à l’annonce de la candidature d’Ado pour un troisième mandat, les principaux partis d’opposition décidaient de s’unir. Cette coalition regroupant le FPI de Gbagbo et N’Guessan ainsi que le PDCI de Bédié aurait pu incarner un réel front démocratique suffisamment représentatif de la société civile. Alors que les différents partis s’étaient accordés pour un boycott généralisé des élections, les divisions et le manque de cohérence du projet de cette coalition ont eu la peau de l’opposition et ont entrouvert les portes de la présidence à un troisième mandat d’Ado. Les divisions entre pro-Gbagbo et pro-N’guessan ont fait surface, ce dernier décidant de participer au scrutin. Bédié a également fait sécession et l’officialisation de sa candidature a permis aux trois partis politiques les plus importants de présenter un candidat. La coalition démocratique a fracassé, donnant de la légitimité à une élection dont les résultats étaient connus d’avance. La tentative de création d’un Conseil National de Transition, quelques jours après les résultats, est également tombée à l’eau lorsque Bédié a concédé à une rencontre avec le président réélu. La stratégie des opposants n’a pas eu la cohérence qu’elle aurait mérité aux vues des enjeux de cette élection. Elle est largement responsable de la réélection d’Ado avec un score soviétique de 94 %. 

 

ADO, « nouveau président fondateur » ?

Les techniques utilisées par Ouattara et son lors de ces élections rappellent les méthodes employées par d’autres présidents africains, chefs parmi lesquels le président Paul Biya. C’est à se poser la question si l’ambition d’Ado est secrètement admirative des auto-proclamés « président à vie ». Son entretien délivré à la chaîne française (et  non ivoirienne) France 24 montre que derrière sa posture en faveur de la démocratie se cachent des relents autocratiques. Il y affirme de ne pas vouloir se présenter pour un quatrième mandat dès lors qu’un « héritier approprié » sera trouvé, lapsus révélateur montrant son emprise sur son parti. Ado sait néanmoins qu’il peut se permettre de telles dérives de langage en public. Fort de ses deux mandats passés à la tête de l’Etat, Ouattara s’en sort avec un bilan économique positif qu’il ne cesse de scander haut et fort. Avec une croissance moyenne de 8 pour cent par an depuis la sortie de la crise électorale, le PIB par tête d’un Ivoirien a en moyenne doublé pendant son mandat. Ses projets publics d’infrastructures ont abouti et permis un essor économique conséquent, parmi lesquels la création d’un troisième pont à Abidjan, la construction de 1500 kilomètres de routes ainsi que de zones industrielles spéciales dans plusieurs grandes villes du pays. Ouattara a su faire parler son expertise financière, fruit de longues années passées au FMI, en gérant les principaux indicateurs financiers tout en promouvant des grands projets d’infrastructures. Si les élections du 31 octobre annoncent l’avènement d’un nouveau « président fondateur », celui-là a, au moins, produit des résultats.

 

 

C’est en effet cette double facette du président Ouattara qui tracasse les observateurs à l’heure de se forger un avis sur le personnage. Son CV soigné après des années de carrière dans les hautes instances internationales font de lui un « enfant modèle », invité à tous les forums économiques internationaux tant il est le symbole de l’Afrique émergente que l’on veut vendre. Cette image de « moderniste africain » contraste avec les pratiques anti-démocratiques mentionnées dans cet article, mais aussi avec la relation de subordination qu’il continue à entretenir avec l’ancienne puissance coloniale française. Les félicitations prématurées d’Emmanuel Macron à la suite des résultats proclamés par la CEI en octobre mettent une fois de plus en avant le problème de souveraineté qu’entraîne cette relation étroite. Dans tous les cas, cette élection était l’occasion d’enterrer la hache de guerre dans un paysage politique ivoirien caractérisé par le recours épisodique à la violence. A travers ses décisions, Ado a empêché la Côte d’Ivoire de tourner la page. Néanmoins, le débat suscité par cette crise électorale a permis à la jeunesse ivoirienne de prendre la parole et d’affirmer sa volonté d’écrire un nouveau chapitre dans l’histoire du pays. 

Rédigé par Santiago Castro

Sources

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