Par Ayrton Aubry.
Le panafricanisme n’est pas né en Afrique. C’est un des points de départ de l’ouvrage d’Amzat Boukari-Yabara, Africa Unite!, publié en 2014 et réédité en 2017 aux éditions La Découverte.
Par une rigoureuse méthode, l’historien et docteur de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) étudie le panafricanisme à travers les personnalités qui l’ont porté. Il procède pour cela de plusieurs manières. D’abord, une analyse approfondie des discours des chefs d’Etats et militants panafricains. Ensuite, une étude des itinéraires individuels qui marquent l’histoire du panafricanisme.
Pour Boukari-Yabara, le panafricanisme naît de la somme des situations des populations noires entre le XVIIIème et le XIXème siècle : « cette histoire enchevêtrée de la traite, de l’esclavage, de la colonisation » (p9). Son histoire s’écrit dans un premier temps dans les congrès et le pan-négrisme, puis dans les luttes pour l’indépendance, et enfin dans la critique du néocolonialisme, chaque phase étant marquée par des personnalités particulières. Une limite de cette lecture individualiste des courants d’idées (du reste largement atténuée par les aspects didactiques de l’ouvrage) est que l’analyse reste éloignée de la base, des masses, au moment même, au XXème siècle, où se développe leur importance politique.
On retrouve régulièrement une dialectique, motrice de l’histoire chez Boukari-Yabara. Des Noirs américains (entre ceux qui veulent conquérir leurs droits aux Etats-Unis, et ceux qui veulent « retourner » en Afrique), aux leaders postindépendance (entre un Nkrumah prônant la souveraineté et l’unité du continent, et un Houphouët-Boigny partisan d’une coopération plus poussée avec la France, qui prendra la forme de la Françafrique), l’histoire du panafricanisme s’est écrite dans les débats et la confrontation des modèles.
L’ouvrage de Boukari-Yabara est éclairant, à deux niveaux. Premièrement, la tension qui évolue entre les différentes formes de panafricanisme y est présentée de manière très didactique. C’est le cas de la contradiction originelle : « réconcilier la diversité et l’unité qui caractérisent les peuples noirs et africains » (p251), d’où découlent l’essentiel des débats sur le panafricanisme. C’est aussi la fracture entre W.E.B Dubois et Marcus Garvey, l’élitisme et le métissage du premier contrastant avec le caractère plus populaire du second.
Deuxièmement, dans sa description des courants d’idées portés par des individus, l’ouvrage procède par une remise en contexte plus englobante, et permet de mieux comprendre les grandes dynamiques de l’histoire. Par exemple, pour Boukari-Yabara la colonisation, après la « chute brutale de la main d’œuvre forcée amérindienne » (p18), prend le relai de la traite négrière, en insistant sur la concordance des dates de l’abolition de la dernière traite en Amérique (au Brésil, 1888) et la conférence de Berlin de 1884-1885. Africa Unite ! révèle aussi des personnalités moins connues des mouvements panafricains, comme Stokely Carmichael, dont la postérité a longtemps été dans l’ombre de Malcolm X.
Un problème dans l’ouvrage se fait cependant ressentir, de plus en plus fortement au fil de la lecture, et renvoie à la définition même du panafricanisme. Certes, cette dernière est plurielle et varie en fonction des acteurs qui la mobilisent. Mais dans un ouvrage aussi didactique que celui-ci qui, par sa clarté et sa généralité devient de lui-même une introduction générale à l’histoire du panafricanisme, quelques précisions auraient été les bienvenues, au-delà des tentatives de catégorisation que l’on trouve dans l’introduction. Ce manque peut créer de la confusion : dans la dernière partie de l’ouvrage, tous les discours favorables à l’Afrique deviennent des formes de panafricanisme. On perd ainsi cette distinction du début du XXème siècle, où le panafricanisme renvoie à une vision particulière de l’unité du continent et de la place des populations noires dans le monde.
Boukari-Yabara propose dans Africa Unite ! un véritable décentrement de l’histoire des relations internationales, par une perspective africaine. Un seul exemple à titre illustratif : si les appartenances au parti communiste de certains leaders sont régulièrement rappelées, les effets structurants de la guerre froide ne sont que rarement mentionnés. Dans l’histoire de l’Afrique, ce sont bien les leaders du continent qui sont acteurs du changement, en se réappropriant des dynamiques internationales, et non l’inverse.
En somme, Boukari-Yabara contribue à développer en langue française un champ d’étude trop souvent marginalisé, initié par Elikia M’Bokolo (dont Boukari-Yabara a été l’élève). Cette filiation est d’ailleurs rappelée dès la première page de l’ouvrage, en insistant sur l’importance des diasporas dans le panafricanisme. En participant à un mouvement de décentralisation de la production de connaissances scientifiques et de mise en lumière de phénomènes longtemps marginalisés, Africa Unite ! est un ouvrage à mettre dans toutes les bibliothèques.