FADEL SENNA / AFP

Covid-19: Pourquoi parlons-nous autant de l’exemplarité du Maroc?

Par Aghaby Y. & Pauline L D.

 

Alors qu’il y a quelques semaines un scandal éclatait sur LCI au sujet d’une étude néerlandaise sur l’efficacité des vaccins BCG contre le Covid-19, Jean-Paul Mira, chef de service à l’hôpital Cochin de Paris, lançait à son collègue médecin :

« Si je peux être provocateur, est-ce qu’on ne devrait pas faire cette étude en Afrique, où il n’y a pas de masques, pas de traitement, pas de réanimation, un peu comme c’est fait d’ailleurs sur certaines études avec le sida, ou chez les prostituées : on essaie des choses parce qu’on sait qu’elles sont hautement exposées. Qu’est-ce que vous en pensez ? »

 

Et vous, qu’est-ce que vous en pensez ?

A défaut de parler d’Afrique, nous parlerons d’Etats Africains, et particulièrement du Maroc. Jean-Paul Mira ne s’est-il pas renseigné sur la situation de cet Etat africain qui déconstruit, de fond en comble, son raisonnement conjecturé et maladroit ?

En effet, et selon les mots de l’ambassadrice de France au Maroc : “La réactivité du Maroc face à la crise sanitaire est remarquable, et d’ailleurs largement saluée ces derniers jours dans la presse internationale”.

Le Maroc, qui compte environ 40 millions d’habitants, est pourtant l’un des pays les plus touchés par la crise actuelle du Covid-19 au sein du continent, avec 186 décès, 5711 cas confirmés et 2324 guéris (chiffres du 8 mai 2020).

Alors comment cet État d’Afrique du Nord gère-t-il la crise sanitaire actuelle ?

Revenons en détails sur les différentes mesures mises en place.

 

Des mesures sanitaires rapides

Fermeture des lieux publics et mise en place d’un confinement strict :

  • Le 4 mars dernier, le premier cas de Covid-19 apparaissait au Maroc.
  • Le 16 mars, les écoles, collèges et lycées étaient fermés.
  • Confinement strict de la population depuis le 20 mars, avec attestations de déplacements dérogatoires et surveillance renforcée de l’armée
  • Le 22 mars, les établissements publics fermaient.
  • Etat d’urgence sanitaire décrété le 23 mars 2020
  • Depuis le 25 mars, les soignants ne rentrent plus à leur domicile, mais logent à l’hôtel au sein de structures publiques ou privées (plus de 12 000 chambres leur ont été réservées).

Contrôle du territoire et sécurité :

  • Dans un communiqué, la Direction Générale de la Sûreté Nationale (DGSN) précise que depuis la déclaration de l’état d’urgence sanitaire par les pouvoirs publics : la DGSN recense plus de 85 000 interpellations dont plus de la moitié ont été déférées devant les parquets compétents après la procédure de la garde à vue pour violation de l’état d’urgence sanitaire.
  • Un couvre feu a été fixé de 19h00 à 5h00 pour la période du Ramadan
  • Par mesure de sécurité sanitaire, les autorités procèdent aussi à une désinfection des lieux publics, des hôtels, maisons et ambulances…

 

Lancement d’une application de contrôle et de suivi des mouvements des citoyens :

  • Le 21 avril dernier, une application mobile de contrôle et de suivi des citoyens a été lancée par la Direction Générale de la Sûreté Nationale (DGSN). Cette application vise à limiter les déplacements inutiles et se limite aux barrages de contrôles sécuritaires. Selon la DGSN, ces contrôles ne concernent pas les mouvements citoyens dans l’espace publics mais seulement ceux exceptionnels dans les barrages.

Port du masque obligatoire :

  • Depuis le 7 avril, le port du masque est devenu obligatoire au Maroc sous peine de risquer trois mois d’emprisonnement et une amende de 1 300 dirhams, l’équivalent de 115 euros.
  • Pour rendre ces masques accessibles à moindre prix, le Maroc avait au début de la crise débloqué un fond de subvention et fixé le prix des paquets à 8 dirhams soit 0,70 ct.
  • Le royaume encourage notamment bon nombre d’entreprises marocaines à se convertir et se lancer dans la production intensive de masques correspondant aux standards de l’OMS. Ainsi, le Maroc qui produisait à ses début près de 3 millions de masques en produit désormais 7 millions de masques quotidiennemen Le pays est en autosuffisance et a même réalisé des excédents lui permettant d’exporter à l’étranger (en France, par exemple, en Région Nouvelle-Aquitaine). Cet excédent permet à 5 de ces entreprises d’exporter la moitié de leur production en Europe. Les autres entreprises envisagent de suivre la voie et certaines prévoient même d’utiliser leurs filiales françaises pour déployer des unités en France lors du déconfinement, de quoi faire rougir Jean-Paul Mira…
  • Pour remédier au trafic de masques qui s’opérait au début de la vente, le gouvernement a décidé de mettre en vente les masques uniquement en pharmacies et par paquets de 10. De plus, la sûreté nationale a renforcé ses contrôles et a déjà arrêté près de 96 personnes pour trafic de masques non conformes.

Utilisation généralisée de la chloroquine et politique de dépistage :

  • Le Maroc est aussi le premier pays à avoir généraliser l’utilisation de la chloroquine pour tous les malades. A cet effet, l’État a acheté le 19 mars au groupe pharmaceutique français Sanofi au Maroc tout son stock de Nivaquine et de Plaquenil, produit localement.
  • Dépistage du Covid : des tests sanguins dont le résultat est rapidement connu ont été mis en place au CHU Ibn Rochd à Casablanca. Il s’agit d’une unité dédiée au dépistage au sein du CHU, elle est en mesure d’effectuer 300 prélèvements par jours. L’objectif est d’atteindre les 10 000 dépistages par jour.

 

Des industries marocaines et étrangères au service de la cause sanitaire

Parmi ces industries engagées, on retrouve :

SERMP : La fabrication de 500 respirateurs artificiels 100 % « Made in Morocco » par la Société d’étude et de réalisation mécanique de précision (SERMP), un processus marocain de la conception à l’assemblage.

Micagricol : qui fabriquait 600 000 masques quotidiennement au début de la crise et se fixe pour objectif la production d’un million de masques par jour.

Soft Tech : qui en produit trois fois plus

IKS Marrakech : qui au delà de la production nationale exporte des masques à l’étranger notamment à la Région Nouvelle-Aquitaine.

Groupe Renault Maroc : a notamment fait don de plus de 50 véhicules aux autorités qui les ont transformés en ambulances.

 

Des mesures économiques à destination de tous

  • Le 15 mars dernier, le royaume lançait son Fonds spécial de lutte contre le coronavirus équivalent à 3 % de son PIB où plus de 3 milliards d’euros ont été collectés .

Contributions financières:

  • Le Fonds est ouverts aux contributions de tous : entreprises, citoyens, acteurs publics et privés…
  • Le roi a versé 180 millions d’euros à travers sa compagnie Al-Mada
  • De nombreux hauts fonctionnaires ont fait don d’un mois de salaire
  • 30% du Fonds vient du budget de l’Etat
  • 22% des institutions et entreprises publiques
  • 15% du décaissement de l’UE,
  • Et le reste se réparti entre les fondations, associations et fédérations (10 %), les banques et assurances (10 %), les sociétés privées (13 %) et les particuliers (1,1 %).
  • Dédié en priorité au secteur de la Santé puis aux ménages et secteurs jugés prioritaires, plus de 5 millions de familles ont pu en bénéficier.

Mesures principales :

  • Suspension des charges sociales
  • Reports des échéances de crédits bancaires
  • Possibilité de souscrire des prêts garantis par l’Etat
  • Création d’une application pour vérifier la distribution équitable de l’aide annoncée par l’Etat aux foyers les plus précaires (800 à 1 200 dirhams)

Partenariats :

  • IFC (Société financière internationale) pour la région Maghreb en lien avec la Banque mondiale, qui a une enveloppe de 8 milliards de dollars pour aider les entreprises privées des pays en voie de développement.
  • Régions marocaines : plus de 305 millions de dirhams mobilisés par les différentes régions du royaume pour des paniers de denrées alimentaires, l’acquisition de matériel médical et l’achat d’équipements de désinfection.
  • CGEM (Confédération générale des entreprises du Maroc) : recettes allouées au fond de gestion, mise en place de guides préventifs et sanitaires, lancement de la plateforme Business Solidaires, soutien aux starts up marocaines et promotion de la digitalisation (en lien avec l’IFC, dans le cadre de Solidari’Tech)

Tourisme : Selon une étude menée par la Confédération nationale du tourisme (CNT), le manque à gagner des recettes touristiques pour la période 2020-2022 est estimé à 138 milliards de dirhams. La CNT propose un plan de relance massif qui nécessitera un budget de 1,7 milliard de dirhams (1,2 milliard pour la sauvegarde du secteur et 500 millions pour la relance).

Propositions de la CNT : (pour 12 mois minimum)

  • Exonération des charges fiscales
  • Exonération des charges sociales
  • Report de tous les crédits
  • Défiscalisation des départs en retraite anticipée

 

Maroc et FMI – la ligne de précaution et de liquidité :

  • Afin de gérer au mieux la crise sanitaire, le Maroc sollicite la Ligne de précaution et de liquidité (LPL) du FMI pour la première fois depuis 2012, date de signature de l’accord avec le FMI. Il s’agit pour le Maroc d’une ressource mobilisable en cas de choc extrême ou de grande catastrophe. « l’admission d’un pays à bénéficier de la LPL témoigne de la solidité foncière de son économie et de la politique économique menée par les autorités, ce qui contribue à raffermir la confiance des marchés à l’égard des mesures qu’elles envisagent », explique le FMI.
  • Ce tirage permet au Maroc d’emprunter 3 milliards de dollars remboursable sur 5 ans avec une période de grâce de trois ans. Décision prise par le Comité de veille économique sous la tutelle du ministère de l’Economie et des Finances. Pour rendre ce tirage possible, le ministre des Finances Mohammed Benchaâboun a fait passer le projet décret-loi n° 2.20.320 relatif au dépassement du plafond des emprunts extérieurs en commission des finances et du développement économique à la Chambre des représentants. Il s’agit à la fois d’une plus lourde dette pour le Maroc mais avec des devises suffisantes “pour couvrir ses besoins d’importations et ne pas bouleverser l’équilibre dans lequel était le dirham face à l’euro et au dollar.” d’après le ministre.
  • Toutefois cela est à nuancer car la dette du pays augmente à petits pas entraînant un déplafonnement de cette dernière par le royaume. Selon une note du PNUD, de la Banque Mondiale et de la CEA, une récession de -1,5% est prévue sur l’année 2020 entraînant 10 millions de marocains sous le seuil de pauvreté. A noter que le moratoire sur les dettes africaines ne concerne pas le Maroc pour le moment.

 

Des mesures sociales inédites

  • Le Gouvernement, les associations et les travailleurs sociaux ont permis à plus de 5 000 personnes sans domicile fixe d’être mises en confinement dans des centres d’hébergements (gymnases, établissements scolaires désinfectés). Plusieurs dons alimentaires leurs ont été faits notamment de la part de chefs cuisiniers. Toutefois ces politiques de relocalisation sont limitées car il n’y a pas de recensement officiel des sans abris. Certains d’entre-eux n’ont pas de papiers d’identité et ou refusent d’êtres pris en charge.
  • Le Ministère de la Santé a créé le 30 mars dernier l’application Santé Connect pour les professionnels de santé du secteur privé et du secteur public. Le but est de renforcer la communication digitale et permettre de former et informer le personnel médical.
  • Près de 810 000 salariés du secteur formel inscrits à la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) ayant perdu leur emploi ont commencé à toucher une indemnité de 90 euros, puis toucheront 180 euros/mois jusqu’en juin (75% du SMIC).
  • Les travailleurs du secteur informel bénéficiant du Régime d’Assistance Médicale (RAMED) vont quant à eux toucher entre 75 et 110 euros selon la taille du ménage. Le tout par un système SMS étant donné qu’ils ne sont pas “bancarisés”. Ceux qui ne bénéficient pas du RAMED pourront s’inscrire pour des aides similaires (aides mokadems, chefs de quartiers).
  • Les entreprises qui maintiennent 80% de leurs emplois verront leur charges sociales payées par l’Etat d’avril à juin.Celles qui conservent minimum 20% pourront payer en différé. A cet effet, “Un moratoire gratuit a été décidé sur les crédits et le leasing, et une ligne de crédit de fonctionnement dénommée Damane Oxygène a été instaurée le 26 mars, avec la garantie de l’État, pour assurer le fonds de roulement des entreprises et leur permettre de payer les salaires.” selon des nouvelles parues sur RFI.

 

Initiatives citoyennes : la générosité à l’ère du digital

  • Groupe Facebook Lyed F lyed (main dans la main) : Il regroupe plus de 30 000 membres et permet de collecter des dons, réaliser des répertoires de familles démunies, ou encore permettre une mise en contact de particulier à associatif.
  • Solidari Tech : Dans le cadre de la lutte contre la crise Covid-19, la Banque Mondiale a apporté son soutien à la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) pour l’accélération de la digitalisation des start’up au Maroc.
  • Association Jood (générosité) : L’association a cartographié la présence de sans abris sur une carte Google Maps pour que les personnes physiques et morales à proximité puissent les assister ou les approvisionner en biens de premières nécessité (nourritures, masques, désinfectants…).
  • Adaptation de la plateforme Muhub à la crise sanitaire : Plateforme à l’initiative de l’Université Hassan II de Casablanca, Maroc Impact et Société Générale du Maroc. Cette plateforme est composée de deux espaces : un espace d’interconnexion pour tous ceux qui souhaitent prendre part à un projet (Daba solutions) et un espace rassemblant toutes les informations utiles liées à l’actualité, aux services utiles … (Daba infos). Elle a été adaptée à la crise pour que des réponses efficaces liées à la Crise du Covid-19 soient apportées. Muhub a été étendue à l’ensemble du continent africain.
  • Masques de plongée de Decathlon transformés en respirateurs : Mesure de prévention.Des masques de plongée Décathlon ont été reconvertis en respirateurs pour soigner les malades atteints du Covid-19. Après les Italiens, un collectif marocain « Ingénierie Vs Covid-19 Africa « , en collaboration avec l’Université Hassan II de Casablanca, en a fait un précieux atout contre le coronavirus.
  • Initiative d’un collectif d’ingénieurs : Fabrication de masques visières à titre bénévole dans tout le pays, avec une capacité de production de plus de 1000 masques par jour (Fablab de Casablanca, Université internationale de Rabat). Une antenne a été lancée à Dakar, au Sénégal.

 

Des leçons à tirer ?

Il est surement trop tôt pour prétendre tirer de réelles leçons d’une telle crise, à l’heure où le confinement n’a pas encore été levé au Maroc.

Néanmoins, il est manifeste que le gouvernement marocain priorise la santé de ses citoyens au travers d’une réponse sanitaire efficace, alors même, qu’à l’instar des autres Etats mondiaux, il n’était pas plus prêt à affronter ce type de risque. Le gouvernement permet également aux entreprises et aux salariés de surmonter, du mieux possible, la crise économique qui en découle.

Quoi qu’il en soit, cette crise permet de mettre en exergue certains points essentiels pour l’éventuel déclenchement d’une réforme structurelle d’ampleur :

  • l’importance du digital et de la numérisation de la société
  • le rôle clé des régions et l’importance de la décentralisation
  • la nécessité d’un système de santé efficace
  • le rôle essentiel de l’éducation et de la formation

Les marocains commencent à acquérir de véritables compétences numériques dans le cadre de la gestion de cette crise et commencent à prendre conscience de la nécessité de l’interventionnisme étatique.

Ce qui pourrait conduire cet Etat africain à une réorganisation institutionnelle d’envergure, notamment par la mise en place d’un système de santé unifié en matière de couverture médicale, une révision profonde du système fiscal, des investissements massifs dans les domaines du numérique et de l’éducation … Le Maroc, pourrait, en cela, initier la mise en place d’une forme d’Etat providence à l’africaine.

 

Avant tout, et à court terme, le gouvernement marocain doit conserver son exemplarité dans la phase de déconfinement. A partir du 20 mai prochain, cette phase pourrait se dérouler en plusieurs étapes, car il s’agira désormais d’apprendre progressivement à vivre avec le virus. En effet, et selon le proverbe marocain, “sortir du hammam n’est pas aussi simple que d’y entrer“ …

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *