Pourquoi le Bénin refuse t-il le confinement?

Par Maïlys D.

 

“ Si nous prenons des mesures qui affament tout le monde, elles finiront très vite par être bravées et bafouées” déclarait ce dimanche 29 mars 2020 le Président du Bénin, Patrice Talon, à sa population quant à la gestion de la pandémie du Coronavirus ( Covid- 19).  De récents chiffres estiment que 3,4 milliards de personnes sur la planète( soit près de 43% de la population mondiale) sont confinées à divers degrés dans près de 80 pays pour tenter d’endiguer la pandémie.

Pourtant, à la date de l’interview, le Bénin ne comptait officiellement que 5 personnes infectées. Patrice Talon a justifié son silence par de longs jours à la tâche avec son gouvernement dans “ tous les segments de la riposte, la collecte de données au plan national et international, l’analyse et l’appréciation des impacts sanitaires, médicaux, financiers économiques et sociaux, les projections à court et moyen terme”.

C’est précisément la prise en compte des impacts financiers et économiques de cette crise qui ont appuyé le refus du Président de confiner le territoire béninois. 

 

Le refus du confinement: une décision rationnelle? 

C’est dans un discours simple et affirmé que le Chef de l’Etat a répondu à  deux questions qui prendront finalement la forme d’une véritable lettre ouverte à sa population et aux Etats développés.

Il ne va pas sans dire que cette parole sereine a tout autant été saluée que critiquée. En effet, le Président béninois est l’un des premiers chefs d’ Etat à reconnaître publiquement que son pays ne serait pas en mesure de survivre économiquement à des mesures de confinement. La question de “ l’après Covid-19” comme il l’évoque est une question intrinsèquement économique qui met en exergue les inégalités entre Etats.  A cet égard, le Président n’a pas hésité à déclarer que: « Contrairement aux citoyens des pays développés d’Amérique, d’Europe et d’Asie, la grande majorité des Béninois ont un revenu non salarial. Combien de personnes au Bénin ont un salaire mensuel et qui peuvent attendre deux, trois ou quatre semaines même sans travailler et vivre des revenus du mois ?”. Question évidemment rhétorique.

 

L’avis de la communauté médicale face au refus de mimétisme

Pour la communauté scientifique,  cette décision serait une hérésie qui profiterait à la realpolitik (doctrine qui met en balance le pragmatisme et les intérêts nationaux).

En effet, le Président a lui- même reconnu en début d’interview que la situation était grave et que le risque était grand  mais que la lutte était à la portée du pays si chacun “ jouait bien sa partition”. Les mesures qui auraient été prises avec tout le discernement nécessaire sont donc entrées en vigueur le lundi 30 mars à minuit et consisteront à réduire la mobilité de certains acteurs dans la zone critique.

Pourtant, à l’heure actuelle, la communauté scientifique mondiale rappelle que seul le confinement a fait ses preuves et qu’aucune alternative ne semble envisageable pour endiguer l’ épidémie.

 

La réception populaire du discours

Sur la chaîne Youtube de la Présidence du Bénin, beaucoup ont salué un chef d’ Etat réaliste, perspicace et convaincant. Certains ont reconnu avoir été longtemps dubitatifs face au silence du Président avant d’admettre que le Bénin n’avait pas les moyens de l’ Europe et que confiner les gens reviendrait à les tuer à petit feu. Un parallèle avec la vision américaine de Donald Trump sur la protection de l‘ économie a été fait, tout en estimant que les conséquences post- épidémie ne seraient en rien comparables pour un état africain. 

Enfin, certaines voix se sont élevées déclarant rester sceptiques face aux mesures légères annoncées. Un discours trop séducteur qui laisserait oublier que sur le terrain, le coronavirus n’épargne personne. 

Au- delà de s’interroger sur le bien fondé du non-confinement, une question pas moins intéressante reste la suivante: tous les pays peuvent-ils se permettre à armes égales d’être confinés?

Voici donc les réponses du Président du Bénin, Patrice Talon.

 

Le discours de Patrice Talon

 

Question 1: Le gouvernement a-t-il manqué de promptitude dans la prise de décision? 

 

Patrice Talon: “ Certaines mesures n’ont pas le même degré de pertinence partout et d’ autres nécessitent que les acteurs concernés disposent d’un minimum de temps pour s’ apprêter. Il y a aussi des actions et des mesures qui ne sont pas soutenables dans notre contexte pour lesquelles il faut trouver le bon timing de mise en oeuvre.

Pour accompagner les réductions de mobilité et le confinement, les pays riches débloquent des sommes faramineuses, certains font même recours à des solutions monétaires à peine déguisées voire la planche à billets pour prévenir le chaos socio- économique inévitable autrement. 

Le Bénin, notre pays, à l’ instar de la plupart des pays d’ Afrique ne dispose pas de ces moyens et si nous ne tenions pas compte de tout cela,nous pourrions dans notre action déclencher un chaos qui remettrait même en cause le minimum impératif de la lutte.[…] Nous devons donc combattre le virus et le vaincre mais sans compromettre notre survie après victoire. Si nous prenons des mesures qui affament tout le monde et trop longtemps, elles finiront très vite par être bravées et bafouées sans avoir permis d’atteindre les objectifs.

Contrairement aux citoyens des pays développés, d’Amérique, d’ Asie, d’Europe, la grande majorité des béninois a un revenu non salarial.Combien de personnes au Bénin ont un revenu mensuel et peuvent attendre deux, trois semaines sans travailler et vivre des revenus du mois? Combien? Comment peut-on donc dans un tel contexte décréter sans préavis un confinement général de longue durée? “

 

 

Question 2: Quelle est votre profonde conviction par rapport à ce qui nous attend à court et à moyen terme?

Patrice Talon: “La menace est sérieuse, elle est grave mais nous avons collectivement les moyens d’y faire face. Notre survie individuelle et collective est entre nos mains. Elle est entre les mains de chacun d’entre nous. Nous n’avons pas besoin de beaucoup de moyens, d’ imagination, il suffira à chacun de respecter les mesures qui ont fait leurs preuves par ailleurs. Cela nécessitera il est sûr d’énormes sacrifices, mais à la fin, chacun sera fier d’avoir joué sa partition et d’avoir lui aussi vaincu le coronavirus.

Ma conviction pour après- demain est que nous allons gagner et que nous allons continuer notre marche vers le développement”.

 

Enfin, n’hésitez pas à regarder l’interview et à vous forger votre propre opinion  sur l’ allocution présidentielle au  lien suivant: https://www.youtube.com/watch?v=6eUMXL2CqI0

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