Santé publique en Afrique: quelles perspectives pour la gestion des crises sanitaires?

Par Maïlys D.

Dans un contexte fortement marqué par le regain des épidémies à grande échelle, l’Association de Sciences Po pour l’Afrique (ASPA) a tenu le 13 février 2020 une conférence sur la gestion des crises sanitaires en Afrique. Trois intervenants ont été invités à réfléchir sur le sujet et à exposer ses divers enjeux avant d’entrer en discussion avec les participants.             

A cette occasion, nous avons eu le plaisir d’accueillir:

  • Fred Eboko, Docteur en sciences politiques et Directeur de recherche à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), établissement public français à caractère scientifique et technologique;
  • Docteur Roger Moyou-Mogo, Médecin généraliste spécialisé en médecine vasculaire et co-présentateur de l’émission “Bonjour Santé” sur Canal + ;
  • Vincenzo Lorusso, Docteur en médecine tropicale-épidémiologie a modéré le débat.

 

Epidémies: les défis contemporains majeurs

La gestion des virus du SIDA et du VIH, respectivement syndrome d’immunodéficience acquise et virus de l’immunodéficience humaine ont été abordés tout au long de la conférence.                         Ils mettent en exergue les défis auxquels restent confrontés les pays africains en matière de confinement des épidémies virales notamment et ce, en dépit de nombreux efforts.  

Le 12 février 2020, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a prolongé l’état d’urgence nationale de la République Démocratique du Congo (RDC) où de nombreux cas d’Ebola étaient encore recensés. Ce virus qui est à l’ origine de fièvres hémorragiques violentes en fait d’après l’OMS l’une des maladies les plus virulentes au monde avec un taux de mortalité proche de 54%. Ayant été découvert en 1976 au Soudan et au Congo, c’est en 2013 qu’il se propage en Afrique de l’ Ouest et provoque en 2014 l’une des plus grandes, si ce n’est la plus grande épidémie du siècle à ce jour avec 11 000 décès entre 2013 et 2016.  Comme l’ indique l’ Institut Pasteur, fondation française dédiée à la recherche, la prévention et le traitement des maladies infectieuses: “ il n’existe à l’heure actuelle aucun traitement, ni vaccin homologué par les autorités de santé”. Ainsi, la prise en charge actuelle ne permet que de traiter les symptômes: fièvre, douleurs et déshydratation.

Sur le point de vue économique, les conséquences sont tout aussi dévastatrices. Les investissements en Guinée, au Libéria et en Sierra Leone qui sont les pays principalement touchés par le virus ont considérablement diminué. La RDC lutte actuellement contre sa 10ème épidémie d’Ebola sans fin en vue. Jusqu’à présent, environ 2200 congolais sont morts avec 3300 cas de virus détectés.

 

L’ épidémie du nouveau coronavirus (COVID-19): nouvelle préoccupation à l’échelle mondiale 

Hors du continent africain, une nouvelle préoccupation a vue le jour: l’épidémie du nouveau coronavirus (COVID-19) signalée pour la première fois à Wuhan, en Chine, le 31 décembre 2019. Ce virus est dit nouveau en ce qu’il n’avait jamais été identifié chez l’homme et est présenté comme l’agent responsable de pneumonies.Selon l’OMS, au 16 février 2020, 51 857 cas ont été confirmés dans le monde à travers 25 pays  dont 51 174 en Chine. 

Alors que tous les continents dénombraient des personnes atteintes du COVID-19, seule l’Afrique ne recensait pas de cas en date du 13 février 2020 (date de la conférence). 

Il a donc été tout aussi légitime que controversé de se demander comment se faisait-il que dans un cadre mondialisé occasionnant des échanges intercontinentaux, aucun cas n’ait été déclaré sur le continent africain?

En date de la conférence, des inquiétudes pesaient  face à une telle éventualité. En effet, que pourraient légitimement attendre les africains de leurs gouvernements, de quels moyens disposent-ils et qu’ont -ils appris de la gestion des épidémies précédentes dans la région? 

 

La gestion des crises sanitaires: une question intrinsèquement politique

La lutte contre le syndrome d’immunodéficience acquise (SIDA) reste aujourd’hui un réel défi pour les pays africains et est indéniablement une cause qui dépasse les frontières étatiques en étant portée par des organisations internationales. C’est dans cette logique que le Professeur Pierre Eboko a proposé une brève introduction historique et contextuelle qui explique le cheminement vers l’ internationalisation des moyens scientifiques. Selon les estimations de l’OMS et de l’ONUSIDA, 37,9 millions de personnes vivaient avec le VIH fin 2018.

Cette même année, près de 1,7 millions de personnes ont été infectées et 1,1 millions sont décédées du SIDA, dont 280 000 enfants. Enfin, les deux tiers des infections du VIH touchent l’Afrique subsaharienne. En tant que programme commun des Nations Unies, l’ ONUSIDA créé en 1996  réunit 11 organismes des Nations Unies dont l’UNICEF, le PNUD et l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Le programme se définit lui- même comme “à la tête de la collecte de données la plus étendue au monde sur l’épidémiologie du VIH, la portée des programmes et les financements, et publie les informations les plus fiables et actuelles sur l’épidémie de VIH”.

Or, les organisations internationales précitées vont avoir une influence certaine sur les recherches épidémiologiques. Plus précisément, la création de l’ Organisation Mondiale du Commerce en 1995 conduit à la mise en place du droit de propriété intellectuelle. Ce droit emporte la protection de la propriété intellectuelle des médicaments. Cette même année 95 est annoncée la découverte de trithérapies qui si elles sont prises suffisamment tôt permettent aux personnes séropositives d’avoir une espérance de vie dans la moyenne. Malheureusement le continent manque de moyens. Pour y faire face, le Fond de Solidarité Thérapeutique International voit le jour en 1997 et négocie avec les laboratoires pharmaceutiques détenteurs de brevets. Pourtant, on assiste à une sélection des patients car les laboratoires veulent s’assurer que les malades seront à même de prendre de façon correcte leur traitement. Reste alors la question du coût de ces médicaments dans le cadre de cette trithérapie. 

 

Les effets délétères des politiques économiques sur les politiques de santé

Dans les années 80-90  des programmes d’ ajustement structurel sont mis en place dans les Etats africains. Ces politiques d’austérité vont se faire au détriment des politiques de santé. 

Des critiques sont formulées à l’encontre du traitement des maladies virales. En 2011, Kofi Annan Secrétaire général de l’ONU de 1997 à 2006 émet l’idée de créer un fond mondial qui serait un mécanisme de solidarité internationale inédit.  L’idée est d’opérer un tournant vers la santé globale. 

 

Ce que les précédentes épidémies nous ont appris

L’ épidémie d’ Ebola en Afrique aurait permis de rendre évidents des systèmes de santé complètements effondrés. Ebola va révéler que l’on s’est focalisé sur quelques champs: le sida, le paludisme et la tuberculose et que l’on a négligé la base: les systèmes de santé. 

Dès lors, le système de santé devient soumis aux lois du marché. Conformément à l’ initiative de Bamako entreprise en 1987 lors du 37e comité régional de l’ OMS, un hôpital doit pouvoir se financer et se gérer à partir du paiement directe des patients. Cette initiative met en exergue des injonctions internationales contradictoires quant à la santé : l’universalité dans l’accès aux soins (1), l’efficacité dans la fourniture de soins (2)et l’équité dans le financement (3).

Cette réforme de la gestion des systèmes de santé adoptée à la suite d’une réunion de ministres de la santé africains est mise en œuvre dans plusieurs pays en voie de développement confrontés à des situations économiques difficiles. Très souvent, elle aboutit à la mise en place d’un certain nombre d’activités de soins (paquet minimum) visant l’amélioration des soins de la mère et de l’enfant et le contrôle des endémies. Ce paquet concerne particulièrement la vaccination, l’offre de soins primaires et la vente de médicaments génériques dans le cadre d’une politique visant à en faciliter l’accès. Toutefois, dans certaines régions la réforme a aboutit à la fin de la gratuité et sur le terrain la question de l’accès aux structures de soins de ce type de patients reste largement posée. 

Aussi, les liens entre les laboratoires pharmaceutiques et les Etats ne sont pas en reste.  Les laboratoires étant des entreprises lucratives, l’ Etat a son rôle a joué tout en restant soumis aux normes de qualité du droit international. Il y a donc aussi bien des rapports de force que de gouvernance.. Il est légitime de se demander ce qu’un Etat donne en échange de la baisse des prix des médicaments, qu’ en est-il des clauses secrètes?

 

Espoirs et perspectives 

Concernant le VIH, l’ONUSIDA avait adopté un objectif mondial intitulé 90-90-90 pour l’horizon 2020. Aux termes de celui-ci: 

  • A l’horizon 2020, 90% des personnes vivant avec le VIH [ sont censées] connaître leur statut sérologique.
  • A l’horizon 2020, 90% de toutes les personnes infectées par le VIH dépistées [sont censées avoir reçu] un traitement anti rétroviral durable.
  • A l’horizon 2020, 90% des personnes recevant un traitement antirétroviral [sont censées avoir] une charge virale durablement supprimée.

Il va sans dire que ces objectifs ne sont pour le moment pas atteints.

 

Quelles réactions des gouvernements et experts africains face au nouveau Coronavirus (COVID-19)

Quant aux nouvelles épidémies auxquelles le monde est aujourd’hui confronté, le ministère égyptien de la Santé a annoncé vendredi 14 février 2020 avoir enregistré le premier cas de nouveau coronavirus sur le continent africain.

Une semaine avant, les 9 et 10 février, l’Institut Pasteur de Dakar accueillait des experts de quinze pays du continent pour les préparer à faire face à la maladie. Le directeur du centre africain de prévention et de lutte contre les maladies a fait le point sur la préparation du continent. Le Docteur John Nkengasong explique qu’une équipe spéciale a été formée pour suivre l’évolution de la situation. Elle rassemble l’ensemble des pays membres deux fois par semaine. Quinze pays sont désormais capables de tester efficacement les personnes qui présentent des symptômes et vingt nouveaux pays devraient bientôt recevoir la même préparation.

Les réactions des pays africains vis à vis de la Chine et de leur ressortissants ont été diverses.  Plusieurs compagnies aériennes du continent ont interrompu leurs liaisons et le Mozambique a suspendu la délivrance de visas aux chinois.  

L’ Afrique du Sud a préféré mettre en suspend les colis en provenance de Chine mais d’autres pays du continent ne veulent pas ou ne peuvent pas se passer de leurs relations commerciales avec la Chine et confient donc la gestion, le confinement voire l’endiguement de l’ épidémie aux autorités chinoises. Un ressortissant tanzanien étudiant de médecine en Chine déclarait lors d’une interview à BBW News:  « Nous sommes des fils et des filles d’Afrique, mais l’Afrique ne veut pas venir à notre secours quand nous en avons le plus besoin ».

Le Congo Brazzaville a pour sa part opté pour la prévention, notamment dans les aéroports  où la température des passagers est prise à l’ arrivée. De plus, des affiches ont été placées pour sensibiliser les usagers aux symptômes du coronavirus et aux premières dispositions à prendre en cas d’apparition de ces symptômes.

Il conviendra donc de suivre avec beaucoup d’attention l’évolution de ce virus et de façon plus large les changements structurels adoptés à l’issue de cette nouvelle crise.

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