Conférences du mois d’octobre

Chaque mois, la rédaction de La Grande Afrique revient pour vous sur différentes conférences, tables rondes et discussions auxquelles ses rédacteurs ont participé. Avec les Universités de Rentrée de Présence Africaine et la promotion parisienne du dernier livre de Ta Nehisi Coates, le programme du mois d’octobre s’est révélé particulièrement dense et stimulant.

03/10/2018 Conférence : “Is the Europe-MENA strategic bond a myth ?” Pr. Ghassan Salamé à PSIA, Sciences Po

http://www.sciencespo.fr/psia/headlines-events/europe-mena-strategic-bond-myth

Compte-rendu par Mallé Fall Sarr

 

Du 3 au 5 octobre dernier, Sciences Po et KFAS (Kuwait Foundation for the Advancement of Sciences) organisaient une série de conférences sur le thème « Europe and the Middle East and North Africa : Building bridges, mapping the future ». Nous étions à la conférence inaugurale, donnée par le Professeur Ghassan Salamé, envoyé spécial et chef de la mission des Nations Unies en Libye, devant un parterre d’étudiants et d’acteurs du monde universitaire et diplomatique international, dont le directeur de Sciences Po Frédéric Mion, le directeur général du KFAS Adnan Shihab-Eldin, l’ancien Premier Ministre italien et actuel doyen de la PSIA (Paris School of International Affairs) Enrico Letta, les ambassadeurs respectifs du Koweït en France et de la France au Koweït…

Le Professeur Salamé, qui n’est pas inconnu à Sciences Po – il a été le fondateur et premier doyen de la PSIA – était amené à discuter de la question « Is the  »Europe-MENA » strategic bond a myth ? ». Mais les termes de la discussion ont très vite étés changés, ou en tout cas redéfinis, puisque M. Salamé a défendu dès le début de son intervention l’idée qu’il n’y a pas vraiment de différence entre le mythe et la réalité, puisqu’un mythe peut avoir autant ou plus d’impact sur la réalité que les choses concrètes. Il s’est dès lors agit de (re)trouver les racines de ce lien stratégique entre l’Europe et les pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du nord qui, mythe ou non, a un réel impact sur la politique internationale.

La crise de Suez de 1956 a été un tournant de cette histoire commune : elle a d’une certaine manière aboli la géographie, puisque les acteurs majeurs, l’URSS et les États-Unis ne sont physiquement pas proches du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord.

Aujourd’hui, le lien Europe-MENA est marqué par un certains nombre de difficultés, avec des cristallisations autour des questions du terrorisme et des migrations. Cela résulte d’une situation mondiale qui a fondamentalement changé : la démographie est galopante dans de nombreuses régions du monde, la Méditerranée n’est plus la principale zone d’échanges, et, surtout, le nombre de conflits créés est supérieur au nombre de conflits résolus.

Pour  »réparer » le lien Europe-MENA il faudra avant tout d’essayer de résoudre les conflits du Moyen-Orient, d’y favoriser la prospérité, et avoir conscience qu’aucune des rives de la Méditerranée n’est le centre du monde.

Après cet exposé de sa vision de l’histoire et de l’état des rapports Europe-MENA, le Professeur Salamé s’est prêté au jeu des questions-réponses avec les étudiants. Il en ressort essentiellement une vision pragmatique et réaliste de ce que peut être la diplomatie internationale. Pour Ghassan Salamé, la communauté internationale est un « mythe utile » (“useful myth”). Il déplore aussi un manque de pragmatisme des institutions, le caractère hors sol de la diplomatie. Ce décalage résulte d’une tendance à ignorer le fait que le monde avance à des vitesses différentes, et à vouloir implanter partout les valeurs qu’on considère comme bonnes, notamment en opérant des changements de régimes qui se révèlent presque toujours catastrophiques a posteriori…

05-06/10/2018 Journées d’étude :  “Qu’est-ce que la blaxploitation ?” à La Colonie

http://www.lacolonie.paris/agenda/blackexploitation

Compte-rendu par Ayrton Aubry

Le café La Colonie a organisé au début du mois deux journées de conférences dédiées à la Blaxploitation. Courant cinématographique majeur aux Etats-Unis durant les années 1970, la Blaxploitation apporte un regard nouveau sur la place des Afro-américains dans la culture américaine, et influence encore aujourd’hui des cinémas à large audience comme celui de Spike Lee ou de Quentin Tarantino. Kémi Apovo, docteur à l’Institut des Mondes Africains (IMAF) de l’EHESS a organisé l’événement, alternant conférences, débats avec le public, intermèdes musicaux et extraits de films.

Le mot Blaxploitation est formé à partir de la réaction de Junius Griffin, alors chef de la NAACP de Los Angeles, à la représentation des Noirs dans le cinéma américain, dont Hollywood exploite la mauvaise image (d’où “Black exploitation” puis “Blaxploitation”, repris par le journal Variety). Les débuts de ce mouvement artistique montrent bien la volonté des réalisateurs afro-américains de s’éloigner des studios hollywoodiens, qui exerçaient jusque là un monopole sur la représentation des Noirs au cinéma (Hollywood reprendra rapidement le contrôle de la Blaxploitation). Des films devenus cultes comme Sweet Sweetback’s Badasssss Song (Melvin Van Peebles, 1971), Shaft (Gordon Parks, 1971) ou Superfly (Gordon Parks, 1972) marquent profondément les techniques de réalisation des génériques au cinéma et des bandes musicales. L’autre thème est le personnage du pimp, icône de la culture afro-américaine. Contrairement aux idées reçues, il n’est pas violent et dégénéré, mais plutôt à la fois admiré pour sa ruse et détesté.

06/10/2018 Conférence-débat : « En finir avec la Françafrique », Danielle Obono, Thomas Dietrich, Michèle Rivasi, au Normandy Hotel

http://www.makaila.fr/2018/09/en-finir-avec-la-francafrique-conference-debat-le-6-octobre-2018-a-paris.html

Compte-rendu par Ysé Auque-Pallez

Le 6 octobre dernier La Grande Afrique était présente à la conférence-débat « En finir avec la Françafrique » qui se tenait au Normandy Hotel. Elle était à l’initiative de Thomas Dietrich, fonctionnaire, romancier et activiste français s’exprimant contre les régimes autoritaires en Afrique et les réseaux françafricains. Diplo21 une ONG qui a pour but de promouvoir les droits humains et la démocratie et plus particulièrement sur le continent en était l’un des partenaires, ainsi que Internet Sans Frontières et le journal Fakir.

Composée de trois thèmes (l’histoire, la persistance, et les solutions à la Françafrique), la conférence-débat était introduite par Danièle Obono, députée de la France Insoumise et clôturée par Thomas Dietrich et Michèle Rivasi. LGA a assisté à l’ouverture de l’événement et à la première table ronde.

La députée Obono a révélé de manière puissante les contradictions dans la politique « africaine » de l’exécutif. Comment affirmer d’un côté que la politique de la France envers l’Afrique n’existe pas et de l’autre créer un Conseil présidentiel pour l’Afrique ? Entre un premier ministre ancien collaborateur d’Areva (qui extrait l’uranium au Niger pour alimenter les centrales nucléaires en France), des interventions militaires justifiées par la lutte contre le terrorisme, et des représentations profondément essentialistes voire coloniales du continent comme l’a révélé la polémique lancée par le président autour du ventre des femmes africaines, le « et en même temps » prolonge plus qu’il n’abolit les codes de la Françafrique.

Pendant la première table-ronde, les intervenants — Thomas Deltombe (journaliste et essayiste), Théophile Kouamouo (journaliste au Média), David Mauger (porte-parole de Survie) et Abdourahman Waberi (écrivain) — ont été unanimes à souligner que la Françafrique n’est pas un concept ni une réalité nouvelle. Thomas Dietrich a souligné que la présence militaire en Afrique ne réglera pas la question du terrorisme et que la racine du problème est à situer dans la mauvaise gouvernance et la pauvreté. C’est uniquement lorsque l’on aura des dirigeants soucieux de leur population qu’on pourra véritablement combattre le terrorisme.

David Mauger, porte-parole de Survie et auteur de Un pompier pyromane : Ingérence française en Côte d’Ivoire, rappelle pour sa part qu’après les indépendances dans les années 1960, deux piliers sont maintenus : il y a maintien des bases militaires et des accords militaires dès 1961 tandis que le franc CFA, créé sous la période colonial et qui avait pour but de rapatrier les bénéfices des entreprises en France, n’est pas remis en cause. Il souligne le rôle de Jacques Foccart, Secrétaire général aux Affaires africaines sous de Gaulle qui a pour mission d’accompagner les affaires africaines visant à maintenir domination avec différents services secrets et réseaux qui traversent les différents courants politiques de droite comme de gauche. Il y a aussi une politique d’assassinat mise en place pour que les dirigeants africains restent des pourparlers de la France — l’assassinat du togolais Sylvanus Olympio en 1963, pour n’en citer qu’un, est particulièrement caractéristique en ce qu’il permet de d’installer au pouvoir la dynastie actuelle des Eyadema.

Thomas Deltombe enchaîne pour parler de son livre La guerre au Cameroun : l’invention de la Françafrique. Il définit la Françafrique comme l’ensemble des mécanismes officiels et officieux qui ont permis et permettent toujours aux élites françaises de maintenir dans une situation de dépendance les anciennes colonies malgré et peut-être grâce aux indépendances. Ce qui crée des indépendances atrophiées, voire fictives, grâce à des pactes avec certaines élites africaines, qui profitent du pouvoir au détriment du peuple africain et dans l’ignorance du peuple français. L’exemple du Cameroun est particulièrement marquant en ce qu’il révèle les actions particulièrement violentes de répression (torture, camps de concentration, lavage de cerveau, etc) des dirigeants français pour anéantir la résistance.

Finalement, ce qui ressort de cette conférence-débat est que la Françafrique est bien actuelle et qu’il faudra non seulement un débat d’idées pour analyser l’antichambre du pouvoir et trouver les solutions, mais aussi une véritable volonté politique… Ce qui ne semble pas près d’arriver lorsque l’on sait qu’il n’a suffit à Emmanuel Macron qu’un coup de téléphone pour maintenir la candidature de Paul Biya au Cameroun. Il est pourtant urgent d’en finir avec la Françafrique car le silence est une arme, et le silence tue.

12/10/2018. Musée du Quai Branly : Université populaire 2018-2019. Grand témoin : Ta Nehisi Coates.

Compte-rendu par Mallé Fall Sarr

Ta Nehisi Coates effectuait une visite promotionnelle à Paris pour la parution de la traduction française de son ouvrage We Were Eight Years in Power: An American Tragedy. Elle paraît chez Présence Africaine, sous le titre Huit ans au pouvoir. Nous avons assisté à son intervention au musée du Quai Branly où il répondait aux questions de Rokhaya Diallo et de Hubert Prolongeau.

Le Théâtre Claude Lévi-Strauss refusait du monde, et le musée a dû faire une projection en direct de la discussion dans une autre salle. Au-delà de l’intérêt pour l’ouvrage et pour Ta Nehisi Coates, cette affluence témoignait aussi d’une volonté de s’exprimer et de poser des questions, de faire des parallèles avec la France, comme cela s’est vu au moment des questions du public. Toutefois — et cela est sûrement à déplorer — le public n’a pas eu tout le temps de poser ses questions, et Mme Rokhaya Diallo, qu’on sait particulièrement engagée dans les mouvements antiracistes en France, n’a eu la parole qu’après 30 minutes de questions de M. Prolongeau.

L’engagement n’est pas un choix mais une nécessité.

Les questions relatives au choix de l’engagement pour la cause noire adressées à Ta Nehisi Coates mènent inévitablement à rappeler le contexte dans lequel l’écrivain a grandi. Il n’hésite pas à raconter l’anecdote, loin d’être insignifiante, du nom de sa poupée d’enfance : Toussaint, en référence au chef de la révolution haïtienne Toussaint Louverture. Les parents de Ta Nehisi étaient à la tête d’une maison d’édition noire, et étaient engagés depuis les années 60. De ce fait, l’enfance de Ta Nehisi était déjà marquée de l’empreinte des figures de la lutte comme Malcolm X et teintée d’un regard très critique sur l’Amérique et sur la condition des Afro-Américains. Et cette enfance entourée de livres a aussi beaucoup à voir avec le choix de l’écriture comme moyen de lutte.

Si l’engagement n’est pas un choix, ce n’est pas qu’à cause d’un déterminisme familial, mais aussi parce que la lutte est une nécessité vitale. La prise de conscience du fait d’être noir est imposé par la place que les descendants d’esclaves occupent aux Etats-Unis, par leur place dans les médias et la spécificité de la lutte des noirs en tant que minorité aux Etats-Unis. En effet, dans la vision de Coates, les Etats-Unis se sont en grande partie bâtis grâce à, ou contre la présence des Noirs dans le pays. Ils ont contribué non seulement matériellement à la construction du pays, de son art, mais aussi de ses lois et de son système juridique qui se sont évertués à maintenir l’exclusion et la marginalisation des Noirs.

« We were eight years in power ».

Comme une complainte, cette phrase a originellement été prononcée en 1895 par Thomas Miller, septième et dernier député Afro-Américain de Caroline du Sud. Il notait avec désolation que toute une mécanique de ségrégation et de retrait des droits fondamentaux accordés aux Noirs s’était mise en place avec les lois Jim Crow alors que les Noirs avaient activement contribué au redressement économique et à la vie politique du Sud des Etats-Unis.

Pour Ta Nehisi Coates, c’est une répétition de l’histoire avec l’élection de Donald Trump, qui est en quelque sorte une réaction à huit années de présidence d’un Noir, Barack Obama. Cela témoigne d’une chose bien profonde aux Etats-Unis, qui est l’angoisse de l’homme blanc aux Etats-Unis face aux minorités, encore plus criante aujourd’hui avec l’accroissement rapide de la proportion de ces minorités dans la population américaine. Il ne faut pourtant pas lire dans cette analyse une opposition binaire entre un mandat Obama « noir » et bon et un mandat Trump « blanc » et réactionnaire. Ta Nehisi Coates est assez critique envers la présidence Obama et ne la considère d’ailleurs pas comme une présidence essentiellement noire. Pour lui, c’est parce qu’Obama est parvenu à incarner les valeurs américaines blanches mieux même que les Américains blancs qu’il a pu être élu. Il a en quelque sorte fallu se départir de sa « négritude ».

Enfin, la conférence de Ta Nehisi a permis de faire des parallèles avec la situation en France. Sur la question de savoir pourquoi son ouvrage était bien accueilli en France alors qu’il était difficile de parler de la situation des Noirs dans ce pays, il estime qu’il est toujours plus facile pour quelqu’un d’entendre le péché d’un autre que le sien propre. Peut-être faudrait-il donc avoir le courage de l’introspection…

13-14/10/2018 Les universités de la Rentrée Présence Africaine (URPA)

Compte-rendu par Ayrton Aubry

Dès le samedi 13 octobre au matin, quelques étudiants de l’ASPA sont venu prêter main forte aux équipe de Présence Africaine et de La Colonie pour mettre en place la deuxième édition des Universités de la Rentrée Présence Africaine. Les rédacteurs de La Grande Afrique ont été des acteurs privilégiés de ces journées, et ont pu les suivre de l’installation de la première chaise jusqu’au départ du dernier auditeur, au soir du dimanche 14 octobre.

Entre le stand de livres de Présence Africaine sur leur droite, et le bar sur leur gauche, où est venue s’ajouter la cuisine du restaurant Moussa l’Africain, le public a pu combler son appétit intellectuel et gastronomique.

Sur le thème des identités afro-diasporiques en acte, un panel impressionnant d’artistes, acteurs de la société civile, chercheurs, journalistes, se sont succédés au 128 boulevard Lafayette les 13 et 14 octobre 2018. La première conférence du week-end s’est attachée à délimiter le concept d’afro et ses différentes déclinaisons, avec notamment la participation de la philosophe Nadia Yala Kisukidi. Amzat Boukary Yabara était ensuite présent lors de la deuxième discussion, pour aborder le thème du panafricanisme, et des utopies collectives. Peu de temps après la parution de la bande dessinée tirée de La Rue Cases-Nègres de Joseph Zobel, une table ronde s’est également tenue sur la littérature jeunesse et ses liens avec les identités afro. C’est enfin le brillant écrivain Mohamed Mbougar Sarr qui a modéré l’avant-dernière discussion de la journée, sur les nouvelles identités et différentes sexualités, avec la présence notamment d’Eric Fassin et de Jo Güstin. La première journée s’est cloturée par une discussion passionnante entre Ta Nehisi Coates et Abd Al Malik, animée par Pap Ndiaye. Le dimanche a commencé par une table ronde sur les violences légitimes, où étaient présents notamment Assa Traoré, Françoise Vergès, et Abd Al Malik. Le reste de la journée a finalement été consacré à des discussions autour de la langue, de l’identité des artistes et de leur oeuvre (animée par l’impressionnante écrivaine et journaliste Aminata Aïdara) tant dans l’écriture que dans l’audiovisuel (Jean Fall, de Cinewax, était également présent).

La journée s’est terminée avec la lecture musicale de plusieurs poèmes de Léon Gontran Damas et Guy Tirolien (Pigments et Balle d’or notamment) et d’autres poètes. Ce retour – très actuel – dans le passé est tout à fait symbolique de l’événement organisé par Présence Africaine, qui fêtera l’année prochaine les 70 ans d’existence de la librairie. La maison d’édition réussit aujourd’hui la prouesse de réunir et publier des auteurs jeunes et dynamiques, tout en gardant une identité profonde (les deux ne sont d’ailleurs pas contradictoires), une “marque”, liée aux heures d’Alioune Diop, Mamadou Dia, Abdoulaye Sadji et Bernard Dadié. Fait marquant rare pour une maison d’édition, un hommage presque systématique a été rendu à Présence Africaine par la plupart des intervenants, et Ta Nehisi Coates a rappelé à plusieurs reprises lors de son séjour l’importance que revêtait pour lui cette partie du patrimoine historique africain à Paris.

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