Tribune: Faut-il tirer sur les migrants pour les empêcher d’atteindre l’Europe? À quoi joue le Maroc?

 

Par Mallé Fall Sarr

Tirer sur les migrants, la nouvelle stratégie du Maroc.

Sale temps pour les migrants clandestins passant par la Méditerranée… Le baromètre est-il jamais sorti de la case tempête pour eux d’ailleurs ? Certainement pas. Mais les choses ont récemment empiré. Après les camps de rétention – mis en place sous l’œil bienveillant et encourageant de l’Europe –, la nouvelle étape franchie par le Maroc consiste tout simplement à tirer sur les navires (si on peut donner ce nom à ces épaves flottantes) de migrants. On ne les laisse plus mourir en haute mer, on les tue.

En effet, le 25 septembre dernier, la Marine royale marocaine a tiré sur un bateau de migrants qui, dit-elle, n’avait pas obéi aux coups de semonce. Résultats : 4 blessés et 1 mort, une étudiante de 22 ans… On aurait pu croire à un « accident », un excès qui serait vite réprimé par les autorités marocaines et la « communauté internationale ». Mais la Marine royale marocaine a récidivé dans la nuit du 9 au 10 octobre, en tirant de nouveau sur un navire de migrants, blessant un mineur de 16 ans. Cette fois, la raison évoquée était une « manœuvre hostile » du navire… Une fois de plus, peu ou pas de réactions observées. Ne serions-nous donc pas en train d’assister à la normalisation de l’assassinat pur et simple d’êtres humains en raison de leur provenance ou de leur condition ? Au-delà des questions de droit, cela pose surtout des questions éthiques, d’humanité.

Une démarche qui s’inscrit dans une ‘’logique’’ de gradation : il fallait bien s’y attendre.

Mais revenons-en d’abord à la généalogie récente des méthodes mises en œuvre pour empêcher ou limiter l’arrivée de migrants en Europe via la Méditerranée. En s’y intéressant de plus près, on ne pouvait que constater une gradation irrémédiable vers le macabre.

Une des « solutions » auxquelles les dirigeants européens et maghrébins ont pensé en premier a été la rétention des migrants dans des camps dont le site closethecamps.org propose une carte. Il y en aurait 30 en Égypte, 16 en Libye, 11 au Maroc 7 en Tunisie et un nombre inconnu en Algérie, le projet Migreurop, qui tient le site, n’ayant pas pu accéder aux données du pays… Il est important de dire, pour ceux qui en douteraient, que les conditions qui règnent dans ces camps sont des plus exécrables, comme l’a montré en 2017 une enquête très fouillée de la CNN sur les camps de détentions en Libye. Ajoutons à cela l’esclavage auquel ces camps sont souvent liés, et le tableau se dessine.

Comme susdit, ces camps ont été établis avec l’accord, voire sous l’égide de l’Europe, dont certains pays ont signé de nombreux accords avec les pays de transit de migrants. Comment faire pour empêcher les migrants d’accéder à l’Europe ? En les enfermant dans des camps hors de l’Europe. Cela semble tout simple… Récemment, c’est la Libye qui a été sous le feu des projecteurs avec un durcissement des politiques de rétention des migrants, notamment sous la pression de l’Italie de Matteo Salvini avec laquelle elle a signé un « traité d’amitié » en 2008, puis un autre en 2017, donnant le droit aux avions italiens de survoler la Libye à la recherche de migrants et de naviguer dans les eaux territoriales libyennes, le tout payé à 50% par l’Union européenne. En raison de ces pressions, la Libye interdit ses eaux territoriales aux navires de sauvetage comme l’Aquarius car, dit-elle, elle peut assurer le secours aux embarcations toute seule. Nous n’en doutons pas le moins du monde…

Le Maroc, de son côté, multiplie les rafles sous la pression de l’Union Européenne et a même condamné à deux ans de prison ferme un homme qui a dénoncé sur Facebook la mort de la migrante tuée par la Marine royale entre le 9 et le 10 octobre.

Alors, est-ce au moins « efficace » ?

Mais on pourrait objecter que l’autre « résultat » de ces politiques radicales est une baisse du nombre d’arrivants en Europe. Oui oui, c’est bien le cas contrairement à ce que certains veulent faire croire. C’est surtout le cas en Italie, le pays dont la politique de durcissement a été la plus prononcée, même avant l’arrivée de Salvini. Le constat est le même en Grèce : nette baisse du nombre de migrants arrivés en 2017 par rapport à 2016. Faudrait-il donc s’en réjouir ? Pas vraiment, si on prend en compte le nombre de morts et les risques qui se sont ostensiblement accrus selon un rapport du Haut Commissariat des Nations Unie pour les Réfugiés. De plus, l’Espagne, à l’inverse de l’Italie et de la Grèce , a vu le nombre d’arrivants doubler. D’où l’esprit d’émulation du Maroc par rapport à la Libye ?

Alors, est-ce efficace d’enfermer, de menacer, de tuer les migrants ? Pas si sûr… Il faudrait en tout cas le pire cynisme au monde pour le penser.

Comment réagir ?

Je ne vous servirai pas la bonne vieille rengaine de l’Europe qui devrait essayer de régler les problèmes des migrants dans les pays de départ pour qu’ils n’aient pas à partir (même si ce serait sûrement une meilleure idée que les camps et les coups de feu). Je ne pense pas que ce soit son rôle. C’est celui des États africains. Mais tout cela est une autre histoire. Ce qui m’intéresse, ce sont les réactions des dirigeants des États africains, et en l’occurrence plutôt l’absence de ces réactions. En effet, comme après la révélation du scandale de l’esclavage en Libye (que tous ont fait semblant de découvrir), il n’y a (quasiment ?) pas eu de vagues du côté des dirigeants des principaux pays de départ : ceux de l’Afrique subsaharienne, et d’Afrique de l’ouest en particulier. Le temps où on se demandait si la politique migratoire du Maroc pouvait être un frein à son adhésion à l’Union Africaine semble bien loin. Dans un temps où le Maroc – mais aussi la Mauritanie et la Tunisie – fait tout pour rejoindre la CEDEAO, les dirigeants des pays ouest-africains seraient bien inspirés de faire pression pour une gestion plus humaine de leurs ressortissants. Messieurs, si vous ne pouvez pas endiguer le départ des jeunes de vos pays à cause des conditions de vie exécrables et du manque d’opportunités, essayez au moins de demander le respect de leurs vies. Si vous ne pouvez rien changer, au moins indignez-vous.

 

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