Faut-il​ ​vraiment​ ​rejeter​ ​tous​ ​les​ ​symboles​ ​hérités​ ​de​ ​l’Apartheid​ ​?

La question peut se poser – certes en des termes différents – à propos du fait colonial en Europe, des figures esclavagistes aux Etats-Unis, et encore de

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Par Léonard Colomba-Petteng.

Faut-il vraiment rejeter tous les symboles hérités de l’Apartheid ?

Faut-il conserver certains héritages emblématiques des périodes les plus sombres des histoires nationales ? La question peut se poser – certes en des termes différents – à propos du fait colonial en Europe, des figures esclavagistes aux Etats-Unis, et encore de l’Apartheid en Afrique du Sud.

Le 6 novembre dernier, un article du site Konbini titrait : “En Afrique du Sud, des manifestants blancs ont brandi le drapeau de l’apartheid”. L’auteur de l’article, Olanrewaju Eweniyi, rappelait à juste titre les tensions raciales qui y persistent, avant d’ajouter : “Tout comme avec le drapeau confédéré aux États-Unis, ceux qui utilisent le drapeau de l’apartheid prétendent qu’il ne s’agit là que d’un symbole de leur patrimoine culturel, amoindrissant le fait que celui-ci relaie l’idée que la minorité blanche avait une mission divine en Afrique du Sud”.

Cette affirmation interroge la place même de ces symboles nombreux en Afrique du Sud. Intéressons nous ici à l’un d’entre-eux : l’hymne national. Depuis 1997, le pays est doté d’un hymne composé en cinq langues très différentes, au point que certains peinent à le chanter dans son intégralité. Rares sont les hymnes nationaux dont les paroles, la composition et la structure musicale ont autant changé à travers le temps. Là est toute la complexité et l’intérêt de l’analyse de ce symbole qui contient en son sein le chant du régime de l’apartheid.

Des origines religieuses aux significations politiques de l’hymne sud-africain

C’est au XIXème siècle, en dehors des frontières africaines que l’hymne sud-africain actuel trouve ses origines. En 1854, Joseph Parry naît au Pays de Galles. Il émigre à l’âge de 13 ans vers les États-Unis, en Pennsylvanie, où la communauté galloise est importante. Influencé par la culture religieuse, Parry décide de retourner au Royaume-Uni afin d’étudier la musique. Diplômé de Cambridge, il devient professeur à l’Université du Pays de Galles en 1873. Sa renommée reste modeste – et semble se cantonner à la sphère religieuse – en dépit du millier d’hymnes, orchestres, choeurs et autres oeuvres musicales qu’il crée. Son oeuvre la plus populaire est un chant religieux intitulé Aberystwyth (Jesus, lover of my Soul) composé en 1879. Cet air musical, comme bien d’autres, pénètre en Afrique du Sud avec l’arrivée de britanniques – notamment des missionnaires –  à la fin du XIXème siècle.

A la même époque, Enoch Mankayi Sontonga est professeur d’école au sein d’une mission méthodiste de Nancefield, non loin de Johannesburg. Réputé pour ses talents de parolier et de pédagogue, il compose des poèmes qu’il fait chanter à ses élèves en langue Xhosa. En 1897, Sontonga rédige un poème qu’il nomme d’après les premières paroles, Nkosi sikelel’iAfrika (“Dieu bénisse l’Afrique”). Pour certains musicologues et historiens, Sontonga adapte le poème à l’hymne gallois de Joseph Parry. Selon l’anthropologue David Coplan le poème est chanté publiquement pour la première fois en 1899 à l’occasion de l’ordination du Révérend Mboweni, premier pasteur méthodiste noir, du peuple Tsonga.  Enoch Sontonga laisse à sa mort en 1905 un cahier d’exercices dans lequel l’ensemble de ses compositions sont rassemblées. Des professeurs de chorales religieuses lui empruntent ses textes qu’ils chantent lors d’événements religieux.

On trouve parmi eux le Révérend John Langalibalele Dube. Héritier de la famille régnante de la tribu des Qadi, il se voit contraint d’y renoncer suite à la conversion de son père au christianisme par les premiers missionnaires. Il est élevé dans la foi religieuse et devient l’un des premiers pasteurs africains ordonné au sein de la American Zulu Mission. Il s’intéresse aux problématiques de l’éducation des jeunes générations d’Africains, tiraillées entre les cultures des arrivants occidentaux et celles des peuples déjà établis. Ainsi le Révérend Dube croit au syncrétisme, et crée dans cette perspective la Zulu Christian Indutrial School dans la ville d’Ohlange, en 1901. Il s’agit du tout premier centre d’éducation fondé par un noir en Afrique du Sud, dans lequel il aspire à faire la jonction entre ces deux types d’éducations. Son institution est dotée d’une chorale dynamique, la Zulu Ohlange Choir, qui reprend, chants religieux, gospel ou encore ragtime. Sous la dynamique de Reuben T. Caluza, ce choeur contribue grandement à la diffusion de l’hymne de Sontonga, Nkosi sikelal’iAfrika, à partir des années 1910, notamment lors de différentes tournées au Natal et au Transvaal.

Peu à peu, le chant religieux prend un tournant politique. Le Xhosa et chrétien Samuel Edward Krune Loliwe Ngxekengxeke Mqhayi – surnommé Imbongi yesizwe’ (“poète de la nation”) –  contribue à la politisation du chant. Cet intellectuel souhaite l’unification des peuples africains qu’il met en avant dans une autobiographie, Mqhayi waseNtabozuko. Ayant vécu la seconde guerre des Boers (1899-1901), il exprime dans le poème iTshawe laseBhritani toute sa défiance envers les Britanniques . Le 11 juin 1927 il publie un pamphlet émancipatoire dans son propre journal Umteteli wa Bantu. Il s’inspire alors de Nkosi Sikelel’iAfrika qu’il allonge de sept strophes.

Nkosi sikelel’iAfrika contre Die Stem Van Suid-Africa : hymnes d’une société divisée

En réalité, Nkosi sikelel’iAfrika prend ce tournant politique dès 1910, lorsque les colonies boers du Cap, du Transvaal, d’Orange et du Natal s’unissent pour former l’Union Sud-Africaine. Des lois raciales sont alors promulguées telles que le Colour Bar, le Native Labour Regulation Act (1911), et encore le Natives Land Act (1913). Une résistance composée d’intellectuels noirs se forme et s’organise le 8 janvier 1912 à Bloemfontein pour créer le South African Native National Congress (SANNC). Son leader n’est autre que le Révérend John Langalibalele Dube. Ainsi, le dirigeant de la Zulu Ohlange Choir fait de Nkosi sikelel’iAfrika un chant de ralliement du mouvement, qui ouvre et clôt chacune des réunions. La chanson devient l’hymne officiel de la SANNC en 1925, remplaçant Silusapho Lwase Afrika de Reuben T. Caluza. Dès lors Nkosi sikelel’iAfrika devient l’expression d’une opposition noire à la politique du régime d’oppression.

En 1925, un autre des pères fondateurs de la SANNC, le premier secrétaire général Solomon Plaatje enregistre Nkosi sikelel’iAfrika pour la toute première fois, depuis Londres . Cet écrivain, également éduqué dans les valeurs chrétiennes des missionnaires européens a choisi l’exil pour exprimer son opposition à l’Union Sud-Africaine. La version qu’enregistre Solomon Plaatje est alors chantée en langues Xhosa et en Zoulou.

Plus tard, Moses Mphalele – professeur et interprète de formation – est à la tête de la branche locale de ce qui est alors devenu l’African National Congress (ANC) dans le Transvaal. Mphalele compose diverses musiques en langue Sesotho. En 1942, il compose le chant Morena Boloka Seshaba sa geso” dans lequel il implore Dieu de “préserver” et “protéger” la nation sud-africaine dont les tensions s’aggravent. En effet, à partir de 1948, la politique de “développement séparé” – l’apartheid – est mise en place par les nationalistes afrikaners emmenés par Hendrik Verwoerd.  L’anthropologue David Coplan confirme que Morena Boloka n’a été rédigée ni par Sontonga, ni Mqhayi ou Paatje, mais par Mphalele pour revendiquer l’unité du pays par l’ANC. Les deux chants, bel et bien distincts à l’origine, ont donc été accolés a posteriori. Une déclaration parue dans le Bantu Education Journal en 1969 ordonne “At the end, do sing only one national anthem. Either sing “Morena Boloka Seshaba sa geso” OR “Nkosi Sikelele iAfrika”, for to sing both is uncalled-for and draws out the programme unnecessarily”. Aussi, un fascicule de 1959 indique que la “cérémonie finale” d’une réunion de l’ANC se tenant à University College de Fort Hare devait se conclure par les deux hymnes nationaux des peuples bantous joués successivement. A l’époque, il n’a pas été possible d’attribuer à Mphalele la paternité Morena Boloka. Par exemple, le choeur Orlando Chorsiter Choir enregistre en 1960 une version dans laquelle  Nkosi sikelel’iAfrika et Morena Boloka sont chantées successivement. Si la première chanson est créditée à Enoch Sontonga, l’auteur de la seconde n’est pas mentionné.

A partir de 1961, la République d’Afrique du Sud officiellement déclarée durcit encore un peu plus la politique d’apartheid suite au massacre de Sharpeville le 21 mars 1960. Les partis d’opposition à l’apartheid sont mis hors-la-loi, des leaders noirs sont emprisonnés par le gouvernement d’Hendrik Verwoerd. Un an plus tard, c’est le “terroriste” Nelson Mandela qui est privé de liberté. Nkosi sikelel’iAfrika est alors formellement interdite par les lois ségrégationnistes. Dans ce contexte les premiers Bantoustans se constituent, et à partir 1960 l’autonomie du Transkei – composé de Xhosas – est reconnue par le gouvernement sud-africain. Ironie de l’histoire, l’hymne du Transkei n’est autre que…Nkosi sikelel’iAfrika.

De son côté, la République d’Afrique du Sud s’est dotée – officieusement depuis 1928 – d’un hymne mettant en avant la prospérité et la grandeur des paysages : Die Stem van Suid-Afrika (“La Voix de l’Afrique du Sud”). Les paroles du poème a été rédigées entièrement par l’afrikaner Cornelis Jakob Langenhoven en 1918 et l’hymne a été composé par Marthinus Lourens de Villiers. Langenhoven se fait fervent défenseur de la langue Afrikaans que ce soit devant le parlement – en sa qualité de député – ou à travers son journal Die Burger. “Nos cieux d’azur/ Nos mers profondes/ Nos monts éternels” sont loués dans Die Stem. Il s’agit pour Langenhoven d’exalter l’esprit pionnier des Afrikaners qui ont résisté malgré le Grand Trek de 1835 et les deux guerres anglo-boers. Les Afrikaners réaffirment ainsi la grandeur de leur territoire et leur identité face aux néerlandais et aux britanniques. Sous les ordres de la Couronne du Royaume-Uni, l’hymne est traduit en The Call of South Africa augmenté d’une partie se référant à la religion. La radio South African Broadcasting Corporation (SABC) jouit d’un monopole dont elle profite pour diffuser Die Stem à la fin de ses programmes. Officiellement, ce n’est qu’en 1957 que l’hymne britannique est abandonné à la faveur de Die Stem.

Nkosi sikelel’iAfrika : un hymne panafricaniste ?

Durant toute le régime d’apartheid, des variantes et des reprises de Nkosi sikelel’iAfrika vont être chantée par opposition à Die Stem par des artistes mondialement reconnus tels que Paul Simon, Lady Black Mambazo, Oliver Mtukudzi, Osibia ou encore Miriam Makeba. Cette dernière a été contrainte de fuir la persécution du régime en raison de ses idées panafricanistes.Plus que l’hymne officiel de l’ANC, Nkosi sikelel’iAfrika est un appel au ralliement des noirs et à la protestation contre un régime raciste. En dehors des frontières sud-africaines, le message de résistance panafricaniste s’étend et séduit les pays nouvellement indépendants d’Afrique australe, à l’image du Zimbabwe de Robert Mugabe pour qui Nkosi Sikelel’iAfrika devient Ishe Komborera Zimbabwe alors chanté en langues Ndebele et en Shona – jusqu’en 1994. La Tanzanie reprend l’hymne sous le titre de Mungu ibariki Afrika en langue Kiswahili, alors que la Namibie le traduit en anglais Namibia Land of the brave, et la Zambie Stand and Sing of Zambia, proud and free. Aussi, une autre version en Chichewa existe au Malawi, et l’école kényane Mang’u High School a repris l’hymne à  son compte.

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Réconcilier la nation arc-en-ciel

Aux lendemains de l’abolition de l’apartheid, le dernier président blanc d’Afrique du Sud, Frederik de Klerk accepte l’idée de réunir l’hymne de l’ANC et celle de la République d’Afrique du Sud. Cette proposition est transmise à la « commission des emblèmes nationaux », créée pour réconcilier la nation arc-en-ciel, alors que les dernières lois raciales sont abrogées. Comme le montre Clint Eastwood dans le film Invictus (2009), l’opinion publique internationale a été marquée par la réconciliation de la nation sudafricaine lors de la coupe du monde de rugby de 1995. Un an plus tôt,  le 20 avril 1994 Frederik De Klerk faisait de Nkosi Sikelel’iAfrika l’un des deux hymnes officiels du pays, aux côtés de Die Stem van Suid-Afrika. L’Afrique du Sud a alors l’originalité d’avoir deux hymnes, suscitant ainsi des polémiques lorsque seul Die Stem était diffusé avant les matchs de rugby, l’année suivante . En effet, beaucoup d’Afrikaners – dont les rugbymen – ont d’abord refusé de chanter les strophes en langues Xhosa, Zulu et Sesotho. De leur côté, les noirs ne cachent pas leur hostilité à l’encontre de Die Stem, à l’image du président de l’ANC, Nelson Mandela qui avait jusqu’alors toujours contesté cet hymne.

Une fois président, Mandela accepte toutefois l’idée de la Commission on National Symbols et l’instrumentalise politiquement pour apaiser la nation. “Tata Madiba” convoque alors un comité de seize spécialistes, musicologues et linguistes dirigé par le Professeur James Stephen Mzilikazi Khumalo afin de fondre ces deux hymnes en un seul. Une anecdote témoigne du souci d’apaisement avec lequel la commission mène sa tâche: le vers « vivons et mourons pour que la liberté triomphe » chanté en Afrikaans devient « vivons et luttons pour que la liberté triomphe » dans une strophe en anglais.

L’hymne à cinq langues est définitivement adopté en 1997, en même temps que la nouvelle Constitution, et conserve le titre de Nkosi Sikelel’iAfrika. L’hymne peut se lire comme le récit chronologique de l’histoire du pays. Chacune des parties témoigne à travers un rythme différent les héritages et influences : Nkosi sikelel’iAfrika est spirituelle ; Morena Boloka met en avant le souci de conservation à l’époque de l’apartheid ; Die Stem met en avant la prospérité et la grandeur de l’Afrique du Sud blanche ; la dernière strophe en anglais est consacrée à l’unité.

 Faut-il rejeter l’hymne du régime de l’Apartheid ?

 Si pendant la coupe du monde de rugby 1995 les Springboks ont au pire refusé, au mieux peiné, à chanter l’hymne dans son intégralité, le gouvernement de Jacob Zuma a engagé de sérieux moyens afin d’apprendre les paroles à tous les citoyens du pays en vue de la coupe du monde de football de 2010. Des fascicules contenant les paroles et les traduisant circulaient dans le pays, ainsi que des enregistrements, des CD voire des sonneries téléphoniques. Peu à peu les Sud-africains se sont appropriés leur hymne, au point de développer aujourd’hui un rapport particulier à cet emblème, témoin de leur histoire. On retient par exemple la vague d’indignation populaire qu’a suscité l’incident quasi-diplomatique survenu lors d’une rencontre de rugby opposant la France à l’Afrique du Sud en 2009. A cette occasion, Ras Dumisani – auto-proclamé “plus grand reggaeman d’Afrique du Sud”- a livré une bien piètre version de l’hymne. La fédération sud-africaine de rugby avait alors qualifié l’artiste d’ « opportuniste, escroc, massacreur de gammes et une honte pour notre pays”.

Le développement du pays et la mondialisation aidant, de nombreux groupes et artistes se nourrissent d’influences extérieures pour offrir leurs propres versions de l’hymne, se l’approprient a capella, en acoustique, en orchestres, en version entièrement Afrikaans, en gospel pour le Soweto Gospel Choir, en jazz comme a pu le faire Sinky Mathe même en kwaito pour Boom Shaka. D’une certaine  manière, l’hymne renoue avec le caractère sacré qu’il avait à l’origine. Nkosi sikelel’iAfrika devient le cantique d’une religion civile fondée précisément sur la multiplicité de la nation arc-en-ciel. Il n’est aucun doute que l’hymne éclaire au mieux la citation de Nelson Mandela aux yeux duquel “la politique peut être renforcée par la musique, mais la musique a une puissance qui défie la politique”.

Sans chercher à prêter de quelconques intentions louables au fermiers blancs qui brandissent aujourd’hui le drapeau de l’Apartheid, il est intéressant d’interroger les trajectoires politiques et les significations sociales des symboles.

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